Sharrow, aristocrate issue d’une très ancienne famille de Golter, ancienne membre armée à la tête d’une équipe de choc lors de la guerre des Cinq pour cent, survivante de la tentative d’assassinat qui a emporté sa mère dans un téléphérique à 5 ans, Sharrow, disai-je, est dans la merde. La mi-trentaine approchant, et alors que la vie de château suivait son cours, les Huhsz, confrérie monacale ayant contre la famille de Sharrow une dent assez ancienne, se rappellent à son bon souvenir. Ils ont demandé à la Cour Mondiale des passeports, pardon, des Passeports afin de pouvoir traquer et tuer la demoiselle sus-citée en toute légalité. Sous prétexte de spoliation millénaire et de malédiction proférée, la lignée féminine de la famille de Sharrow doit s’éteindre afin de permettre l’avènement du nouveau messie, le tout avant le début du décamillénaire. Qui bien sûr approche à grand pas ! Un peu inquiète quand même, mais ne se laissant pas démonter pour si peu, Sharrow, repoussant l’aide de son riche et puissant cousin qui ne demande qu’à la protéger (et puis s’il peut y avoir un peu d’inceste derrière ça fera très bien l’affaire aussi, hein, tant qu’à faire), réunit ce qu’il reste de son ancienne équipe du bon vieux temps de la guerre pour essayer de sortir de cette panade. Et pour ce faire, rien de plus simple, il suffit de retrouver Les Principes Universels, le livre unique disparu depuis des millénaires ou presque, qui indiquera la localisation du dernier Canon Lent, arme destructive et farfelue, dernière du nom, que voudraient bien récupérer les Huhsz. Finger in the nose.
Mais comme ce fabuleux speech de roman d’aventure est de la main de Iain M. Banks, les choses vont se compliquer pour notre fine équipe. Et c’est tant mieux ! Bien évidemment les Huhsz vont les chasser (facile), mais de nombreux phénomènes annexes vont venir perturber le bon déroulement de la chasse au trésor, et complexifier un peu le tout. Il y a cette paire de jumeaux plutôt inquiétante et portés sur la douleur, ces énervantes courses de sials, cette bande de Solipsistes se vénérant eux-même tout en pensant que les autres n’existent pas vraiment, il y a le passé, qui revient constamment. Souvenirs de guerre, de blessures, d’échecs. Car la petite troupe de Sharrow a déjà croisé un Canon Lent…
Quand Banks livre un roman d’aventure, on ne peut pas être déçu ! De l’aventure il y en a à revendre dans La plage de verre. Mais comme c’est Banks, il y a tellement plus que cela. On trouve avec un plaisir immense son écriture virevoltante, qui nous emporte lors des scènes d’action comme jamais, nous gardant les mains grippées au livre, ou nous décrivant les paysages de Golter, du fantôme de Nachtel, de l’Entraxrln, le clair de fer. Il fait preuve d’une imagination grandiose tant dans la création des différents lieux qu’il nous fait visiter que dans celle d’une technologie avancée et décalée, s’inscrivant parfaitement dans ce monde futuriste organisé comme si Victoria régnait encore. On y retrouve une satire sociale assez poussée, car elle s’en prend non seulement à l’organisation politique et économique de Golter, mais offre des moments fabuleux, comme cette visite à Parpech, ville où règnent les rois Inutiles, qui dépensent tous les bénéfices de leur royaume dans l’achat de produits technologiques coûteux mais déjà obsolètes car la technologie y est interdite… On y retrouve également des personnages complexes et en constante évolution que l’on sent vivre sous nos doigts, et des moments de grâce, telle cette rencontre entre Sharrow et Feril l’androïde, dans une ville dévastée par une explosion atomique des millénaires plus tôt, et que les robots rénovent, petit à petit, méticuleusement, sans avoir à se préoccuper du temps qui passe car pour eux il n’est rien. L’un des grands moments du roman, fin, délicat et poignant, de ces instants où le temps suspend son vol.
Aventurière prisonnière de son destin familial, Sharrow part sur les traces de ce Graal perdu et revient sur son histoire et celle de sa famille. Les flash-backs nombreux mais amenés et agencés avec maîtrise donnent cette complexité et cette profondeur aux personnages et à leur quête, car on découvre au fil du livre non seulement leurs relations et comportements actuels mais aussi un peu plus à chaque fois sur le pourquoi du parce que, avec ces retours en arrière sur l’enfance de Sharrow, ses liens tendus avec sa demi-soeur, son rapport à la famille, ses engagements militaire et surtout la construction de sa deuxième famille, avec ses compagnons de guerre.
« Le ciel était plein de ténèbres. Il y avait les planètes, les lunes et les pâles nébuleuses aux minuscules et délicats tourbillons, et ils l’avaient eux-mêmes rempli de bric-à-brac, de circulation véhiculaire et d’emblèmes de mille langues différentes, mais ils ne pouvaient pas créer les cieux d’une planète à l’intérieur d’une galaxie, et ils ne pouvaient jamais espérer, dans aucun cadre de vraisemblance dont il puissent envisager l’existence, voyager où que ce soit au-delà de leur propre système solaire, ni dans l’abîme spatial universellement privé de sens entourant leur étoile isolée et délirante.
Dans un rayon de plus d’un million d’année-lumière -au bas mot-, dans toutes les directions, Thrial, malgré toute sa flamboyante dispersion d’énergie vivifiante et sa fertile progéniture de planètes-filles, était un astre orphelin. »
Un roman d’aventure incroyable, drôle, palpitant et sans faux rythme, nimbé de poésie et de mélancolie.
555 pages (727 en poche)
Traduit de l’anglais par Bernard Sigaud
Marcelline