A l’occasion de la sortie de Little America chez Cambourakis, Rob Swigart a eu la gentillesse de répondre à quelques unes de nos questions:
1/ Bonjour Rob Swigart, pour les lecteurs français qui ne vous connaissent pas, pouvez-vous nous parler un peu de vous et de vos livres ?
J’ai démarré en tant que poète, et eu un certain succès avec « Little America » et j’ai écrit d’autres romans (et d’autres choses) depuis. Je n’en ai pas rajouté et je n’ai pas fait la même chose encore et encore. Mes trois premiers romans étaient des satires, deux d’entre eux étaient teintés de science fiction (le territoire de Vonnegut). Comme je le dis plus bas, une nouvelle ère du roman de science fiction sur la prédiction du futur. J’ai écrit trois « Thriller » avec pour base la biotechnologie et les arts martiaux. J’ai écrit ce qui devait être une parodie du « DaVinci Code » ( un roman qui m’a irrité) qui m’a surpris en étant très bon, je travaille actuellement sur sa suite. J’ai écrit et conçu un roman sur ordinateur qui s’appelle « Portal », qui existe également en livre. J’ai fait un projet d’histoires courtes sur CDROM qui s’appelle « Down Time » – des histoires sur les relations avec des titres tirés du jargon informatique, disponible aujourd’hui en livre audio (avec la musique composée par Allen Strange) ; deux romans sur l’archéologie publiés comme des manuels (l’archéologie est un intérêt personnel depuis longtemps). J’ai coécrit un « business book » pendant que je travaillais à l’institut pour le futur. Je viens de terminer un grand livre qui combine la narration et l’histoire sur la transition de la chasse et de la cueillette à l’agriculture et l’urbanisation. C’est un livre sérieux.
J’espère que j’ai toujours du sens de l’humour.
2/ Comment vous est venue l’envie de devenir écrivain ?
J’ai toujours voulu être un écrivain. J’ai commencé ma carrière comme poète au succès modéré, et j’ai reçu la fonction d’enseignant en écriture de fiction, quelque chose que je n’avais pas fait depuis l’université. J’ai commencé « Little America » comme un exercice, avec aucune idée de publication. Cependant le livre a repris ses droits et s’est « écrit lui-même ». C’est-à-dire, il a acquis un dynamisme que je ne pouvais arrêter. Aucun livre depuis n’a été aussi facile à écrire, bien que j’aime toujours le processus d’écriture et que je ne peux arrêter.
3/ Qu’est-ce que Little America et surtout que représentait pour les américains des 70’s Little America ?
« Little America » était littéralement la plus grande station service au monde, essentiellement une gigantesque aire de repos pour automobilistes. Quand je me suis arrêté là-bas en 1972 il y avait plus de 100 pompes à essence (je peux exagérer un peu, mais ça devait très certainement y ressembler- le site dit qu’il y a 16 stations service qui desservent 4 voitures chacune, donc 64 pompes – l’imagination est toujours plus riche j’imagine). Je ne l’ai jamais revue depuis, mais c’est devenu un empire avec sa station de ski, ses ateliers de réparations, ses hôtels et ses terrains de jeux. Nommée d’après le camp de base Antarctique de l’amiral Byrd. En fait, j’ai trouvé cet endroit hilarant.
4/ Comment vous est venu cette histoire ? Quel a été l’élément déclencheur ?
J’ai eu l’envie d’écrire une comédie sur Œdipe. Faire une satire de plus basée sur la tragédie grecque. J’ai dit à ma femme: “Pourquoi pas une histoire sur un jeune homme qui veut tuer son père et avoir sa pompe à essence à Little America, Wyoming?” c’était l’élément déclencheur. L’histoire a juste suivi cette notion.
5/ Avez-vous un problème avec Œdipe ?
J’étais très complice avec mon père, mais certains de ses amis lui avaient demandé s’il n’était pas inquiet à mon sujet. Je pense qu’il avait trouvé ça drôle.
6/ Le nucléaire militaire, puis civil est omniprésent dans Little America, que représentait cette technologie pour l’époque ? Les américains y attachaient-ils autant d’importance que ce que l’on comprend dans le roman ? Ou alors est-ce une simple obsession des protagonistes ?
Les années 50 et 60 étaient une époque pleine d’angoisse à propos des armes nucléaires. Nous vivions avec la peur de la fin du monde (un autre sujet qui m’a toujours intéressé). Mais les années 70 étaient, pour moi, la plus drôle décennie de ma vie (et quand je regarde en arrière, elle l’est encore). Le narcissisme, l’hédonisme, l’obsession des voitures, les fast food, et l’annihilation nucléaire étaient les thèmes dominants dans nos conversations. Ce n’étaient pas juste les obsessions des personnages du roman, ils faisaient partie du Zeitgeist (l’air du temps) de l’Amérique, probablement du monde. Aussi mon temps dans l’armée était un des évènements les plus agréable, surréaliste et comique de ma vie. Heureusement c’était avant notre aventure au Vietnam, donc je n’étais sous aucune menace. Je doute que l’armée soit aussi amusante maintenant qu’elle ne l’a été à mon époque. Catch 22 était un livre vraiment important pour moi à cet égard. Je l’ai lu une troisième fois quand j’y étais, et je l’ai trouvé remarquablement vrai.
7/ Il y a une certaine légèreté dans le comportement des personnages, une sorte d’insouciance, était-ce un état d’esprit de l’époque ou est-ce seulement voulu pour les personnages ? On retrouve cette même insouciance chez les personnages de Vonnegut, Robbins, Heller ou Kesey.
Vonnegut et Heller étaient des idoles pour moi, au même titre que Charles Dickens, Terry Southern, Richard Condon et d’autres. L’insouciance, je pense, ne vient pas seulement d’un sens de l’absurde qui était au moins présent en Californie dans les années 70 (il y en avait peu parmi nous qui écrivaient de tels livres à l’époque). La plupart d’entre nous ont vécu la fin de la période « beat », avec ses attitudes anti-autoritaires, et la contre-culture, avec ses drogues et le rock n’roll. C’était une époque étonnement fertile pour la satire.
8/ Comment procédez-vous pour écrire ? Votre processus créatif ? Partez-vous d’un fait concret, d’un lieu ou d’une personne existante ? Ou alors tout sort de votre imagination ?
Little America a commencé avec cette seule phrase – l’histoire d’un jeune homme qui veut tuer son père… la plupart des autres livres ont démarré avec une idée, un sujet. Je me suis intéressé aux ordinateurs dans les années 70 et j’ai écrit plus d’un livre pour montrer que notre monde ne passe pas par la médiation de la culture digitale. (Ça ne s’appelait pas comme ça dans les années 70 bien entendu). Le phénomène a énormément grandi et est devenu tellement hors de contrôle que ce n’en est presque plus intéressant. J’ai joué avec les genres ainsi, en combinant ce que j’ai vraiment aimé dans les années 80, en incluant l’aïkido et la biotechnologie dans une série de « thriller ». J’ai aussi fait un roman de science fiction « new age » basé sur un petit travail que j’ai fait avec l’Institut pour le Futur, une équipe de réflexion. Plus tard j’ai travaillé là-bas dans les années 90. La vie a offert des opportunités que j’ai acceptées avec gratitude. J’ai écrit à peu près n’importe quand, essayant d’avoir un certain résultat par jour, aux alentour de 1000 mots. C’est extrêmement ciblé et fatigant. J’ai probablement ralenti un peu maintenant.
9/ Il vous a fallu combien de temps pour écrire ce roman et quel a été l’accueil des critiques et du public lors de sa sortie aux Etats-Unis ?
Little America m’a pris environ 30 jours pour écrire la première version : j’ai écrit trois chapitres par jour, deux histoires et une histoire de sexe pour l’amusement, et j’ai décidé assez tôt qu’il y aurait 100 chapitres. Je m’y suis tenu. Après j’ai passé un autre mois à le réécrire. A propos, j’ai tapé avec des espaces simples, sans marge, pour économiser du papier. C’était plus de 1000 mots par jour, bien entendu. Comme je disais, j’ai un peu ralenti.
10/ Vous êtes assimilé à cette vague d’auteurs américains qui sont considérés comme des auteurs « contre-culturels ». Il s’agit d’un mouvement littéraire quasi unique, on ne trouve ça que dans la littérature américaine. Qu’est-ce qui a fait émerger ce courant dans la littérature américaine ?
J’aimerais bien savoir ce qui a été l’élément déclencheur. Je sais juste que c’était une vague puissante qui a déferlé sur nous à l’époque, une attitude ironique envers notre culture, un sentiment que le monde était géré par des imbéciles. « Il était né avec le don du rire et le sentiment que ce monde était fou. » Scaramouche, 1921, je viens de le découvrir. C’était une des citations favorites de mon père, donc je ne pense pas que cette attitude était nouvelle, mais il a très certainement pris une saveur particulière et surréaliste dans les années 70.
11/ Selon vous y a-t-il des jeunes auteurs qui peuvent créer une nouvelle vague de littérature américaine « contre-culturelle » ?
Je ne le vois pas arriver. Les éditeurs sont devenus trop focalisés sur le profit et trop peu disposés à prendre des risques. S’il y a un élément perturbateur de l’édition qui se produirait dans le monde ils sauteraient dessus, mais en considérant le déclin de la lecture et de la distraction sociale des médias, cela ressemble pour moi à une lutte acharnée.
12/ Avez-vous un livre fétiche ? Ou un auteur fétiche ?
Richard Condon. Il n’était pas très connu excepté pour « Un crime dans la tête » (Stock, 1962/ Archipoche, 2013), mais il a écrit un tas de livres très drôles et sarcastiques. J’ai appris beaucoup de lui. Aussi, il aimait Little America.
13/ quel serait votre top 5 en tant que lecteur ?
Hmmm, sur le vif, ici
– Some Angry Angel ; Richard Condon (inédit en France)
– Les sirènes de Titan ; Kurt Vonnegut
– The Magic Christian ; Terry Southern
– Catch 22 ; Joseph Heller
– La maison d’Apre-vent ; Charles Dickens
Merci beaucoup Léa ! 🙂
Encore une interview très intéressante 🙂 !!!