« D’histoire il n’y en avait pas encore, pas même une petite esquisse. Voilà tout ce que disaient ces quelques lignes : c’est un pauvre type, même pas un brave type, au contraire, il est alcoolique et violent, et il se retrouve un beau jour avec des stigmates. »
Voilà. Mattotti et Piersanti ne nous racontent pas une histoire. Stigmates nous raconte l’histoire commune d’un pauvre type, de ceux qui boivent et s’oublient dans la chair, de ceux qui cherchent plus à se souiller qu’à se préserver. Et ce pauvre type un jour subira le coup du mauvais sort : il se retrouve avec des stigmates, plaies béantes, apparentes, sexe féminin ouvert en forme de fleur sur ses mains offertes au monde. Et qui fera de lui un nanti. Il perd son travail et se retrouve en marge.
Jusqu’au jour où il embarquera dans un cirque itinérant où il jouera au mystique, charlatant profitant du sale coup de Dieu pour empocher déloyalement un argent durement gagné par de pauvres gens à qui le désespoir enlève toute dignité. Il fera aussi la rencontre de la femme de sa vie, impératrice de son bonheur.
L’équilibre retrouvé, notre homme voit ses stigmates rebouchés, et se verra à nouveau tout perdre, avec violence.
Stigmates est l’histoire de l’expérience de la sainteté, celle d’un homme impur et vulgaire qui reçoit un corps mystérieux et qui entamera sa rédemption, sans succès mais avec beaucoup de compassion, ne trouvant le repos que dans la terre, fondation de l’humanité. C’est une réflexion sur le mystère, sur ce que cela peut avoir comme répercussion sur la vie d’un homme, qui ne peut voir dans ce message divin qu’une initiation à l’école de la vie, faite de chaos, de violence et d’amour.
Mattotti dit de cette œuvre : « Cette histoire est dessinée à coups de griffes, d’épines, de gribouillis, car la vie de son héros n’a été que cela : une forêt de barbelés aride et confuse. En trouver la sortie fut un long cheminement à travers surdité et autodestruction ».
On peut difficilement dire mieux de l’approche graphique de ce monument de la bd. Le trait de Mattotti est furieux, tel une écriture jetée avec un empressement nécessaire , contenant une fragilité et un dénuement qui désarme le lecteur.
Ses personnages ne sont jamais loin de chiens affamés, agressés par une vie marginale, vivant bien trop souvent en sous-marin dans la fange et le désespoir, n’en sortant qu’à grands renforts de tessons de bouteilles… ou de stigmates.
Editions Casterman
200 pages
Gwen