Quatre par Quatre. Ce titre sonne comme des jeux d’enfants ou comme le moment où est venu le temps de se mettre en rang mais en plus grand. Ça sonne aussi comme un enfermement, comme une cellule de prison où doit se jouer le drame d’une vie. Quatre par Quatre est un peu de tout cela mais est surtout le reflet immonde d’une société déformée par les convenances et la violence du silence.
Voici le Wybrany College, château idyllique entouré de vertes prairies renfermant le meilleur enseignement, les meilleurs professeurs et en toute logique les meilleurs élèves. Sauf que dans cet équilibre il y a morcellement. Les élèves sont scindés en deux catégories : les gosses de riches et les boursiers, rejetons des bonnes à tout faire dans ce haut lieu d’épuration.
Morcellement il y a aussi dans la construction du texte qui renferme trois parties : les présentations, les mensonges et les névroses qui implosent sous le poids du silence et qui éclaboussent ce Quatre par Quatre.
Présentations : voici les élèves, pré-ado plongés dans un environnement hostile, claustrophobique où les vacheries sont à l’œuvre. Le texte offre un 360°c complet avec un focus sur quelques uns d’entre eux, une espèce d’Elephant de Gus Van Sant littéraire bardé de lourdeur et théâtre d’un carnage futur.
Il y a entre autre Célia, qui a compris malgré son jeune âge que la muqueuse lui offrira la liberté. Ignacio le boiteux homosexuel en bizutage perpétuel. Valen, l’obèse boulimique, qui passe son temps à vomir son trop plein de vide et d’existence déjà ratée. La Derche, femme déchue se fourvoyant avec la direction qui a le nez plein de cocaïne. Voici un panorama de ce petit château, haute sphère de l’éducation privée, prison de sous-entendus et de réalités aléatoires qui offre une vue qui a de quoi donner la nausée.
Pour que la mayonnaise prenne, voici le personnage d’ Isidro Bedragare et son journal. Écrivain déchu, professeur remplaçant et menteur invétéré, le voici propulsé dans une société hiérarchisée, dans un lieu pétrifié par le temps et peuplé de personnes qui ne verront en lui rien d’autre qu’un corps silencieux qui aura tôt fait de se laisser gagner par une névrose gluante et paranoïaque.
Isidro bien conscient de son mensonge, laisse gangrener un sentiment de malaise quant au fait que personne, jamais ne lui demande d’où il vient. Alors il va chercher, gratter, découvrir et comprendre que tout cela n’est que de l’esbroufe, un théâtre cauchemardesque où se sont jouées et se jouent toujours des abominations et que ces secrets tiennent grâce au poids du silence, car sans langage point de désirs, tout le reste n’est qu’animal. Et c’est ce qu’ils sont tous au final : des animaux. Il y a un petit air de Salo ou les 120 journées de Sodome de Pasolini dans le texte de Sara Mesa, de ces œuvres qui laissent un goût ferreux dans la bouche et qui donnent à réfléchir sur une société grégaire où les plus grandes violences sont permises puisque les bouches se ferment.
Editions Rivages
Traduction Delphine Valentin
320 pages
Gwen