La bourse de l’amour (Le Bas de la Plage)
Teddy, tu as, je crois, laissé ici tes mèches, tes perruques et ta teinture, bref, une part de ton bardas. Ton dernier séjour se fit sur le mode, disons, décoratif. « Mais c’est la vertu de l’aimant ! » « Je vois à travers les corps opaques ! » « Cet habit bleui ! » « Quel air impertinent ! » On ne pouvait plus t’arrêter (on ne le voulait pas, d’ailleurs, et c’est sans doute la raison pour laquelle nous t’avons perdu à l’orée de la troisième journée. Ou de la suivante). C’est que, question négoce, l’ami, tu te poses un peu là. Ferrailles et bières, un bric-à-brac de coudrier, interrupteurs et grille-miche, bois à brûler, plâtres à gogo, pfou. As-tu vraiment oublié les détails ? Amnésie ? Resituons. Imagine une sorte de paradis relatif, un terrain qui reste vague jusqu’aux embarcadères. Des nuées de jeunes filles s’y donnent rendez-vous pour chahuter, mais surtout pour jouer au cerf-volant ; des bayadères court-vêtues, aux atours débraillés, sautillent autour de la machine à vapeur, seins froissés, lèvres mauves. Oh oh oh, le Bas G-Beach. La rumeur assourdie des haleines affole tes ardeurs. Les fleurs se livrent aux marchandes dès petit matin – je répète – les fleurs se livrent aux marchandes dès petit matin. Te rappelles-tu ce code, au moins ? « Quel modèle de magie ! » On déambule sur la mousse, on use de notre eau magnétisée, de nos jetons électriques. Que tu sois encore ébahi de la soirée, je l’entends, mais que tu ne te souviennes plus d’avoir voulu bâtir un baquet mesmérien. . . . Dis donc, mon vieux, dans les senteurs de gazon attiédi, n’aurais-tu pas un brin sombré dans la crapule ? Certes, les sources et les métaux projettent des corpuscules en affinité avec ton ivresse ; mais d’un coup : chpaf, un fourmillement d’étincelles en cette zone affranchie au milieu des ateliers, des remises et des dancings. La canaille saoule y trouve ses amours, cela, rassure-moi tu ne l’as pas oublié. Intrépides échappées in extremis de la limitrophe République de Belleville, princesses aux vertus gracieuses, filous à la bonne franquette, escrocs blafards, revendeurs d’épices aux sandales phosphorescentes. Le Bas de la Plage est une manière de bourse de l’amour où se concluent les affaires galantes. Tout y est permis, dit-on : on fait des farces ! On se laisse aller à une gaieté bruyante. Ce pétillement de l’âme et du corps, Teddy. Ce rayonnement de grâce. L’esprit peut bien s’embrumer, mais le corps, Teddy, le corps n’oublie pas l’embrasement des meules.
Texte: Nicolas Richard
Producteur des images : Bilatim Treflon