La collection Métamorphose propose de nombreux classiques littéraires réactualisés par des illustrateurs modernes. Voilà qu’Isabelle Mazzanti s’empare du texte original de Sheridan Le Fanu, Carmilla, oeuvre incontournable dans la thématique fantastique des vampires.
Impossible de passer à côté de ce roman graphique qui nous envoûte juste par sa couverture, le détail du vernis sélectif et de l’embossage travaillé du titre. Livre objet, véritable écrin à ce texte vampirique qui a si bien traversé les époques.
Célèbre roman gothique, Carmilla a été une véritable source d’inspiration pour Bram Stoker et son emblématique Dracula (rien que ça). On y trouve d’ailleurs cette torpeur similaire dans l’écriture, ces personnages féminins naïfs et candides et ces ombres fantasmagoriques venues hanter les vivants, attirées par la vitalité qui coule dans leurs veines comme des papillons de nuits par la lumière.
Les nombreuses névroses dont souffrait Le Fanu, surtout vers la fin de sa vie, prennent forme dans ce texte. Ici, son intérêt pour l’hypnose, les psychose tourmentées des humains et les entités captivées par celles-ci crée un roman plein de noirceur et de mélancolie empruntées au courant littéraire britannique gothique.
Laura, jeune fille solitaire vit avec son père et leurs quelques domestiques dans une vaste demeure de la campagne styrienne. Un beau jour, un étrange accident dépose Carmilla sur sa route. Mystérieuse, charmeuse et énigmatique, elle envoûtera vite la candide Laura avec son aura venimeuse et deviendra son amie et sa confidente.
Avec la belle inconnue apparait une maladie inconnue qui tue les jouvencelles de la région environnante en quelques jours seulement. Prises de torpeur, victimes de cauchemars inquiétants, la vie semble inexplicablement s’écouler d’elle alors que de singulières piqûres apparaissent sur leurs cous.
Bientôt, Laura commence à souffrir des même symptômes et relève un comportement atypique chez sa tendre et chère amie, qui est parfois prise de sauts d’humeurs orageux pour ensuite redevenir douce et enjôleuse.
Bien sûr, pour nous autres lecteurs modernes, il ne fait pas de doute; Carmilla est un vampire et sa prochaine cible est la jeune châtelaine. Mais pour Le Fanu et ses contemporains ces créatures étaient totalement exotiques et nouvelles dans la littérature anglo-saxonne. Ainsi, ce roman nimbé d’ombres et de monstres fantasmagoriques était une lecture effrayante et pleine de mystère à l’époque, alors que de nos jours elle crée une ambiance de suspense latent et délicieusement mélancolique. Deux niveaux d’approche qui démontrent une nouvelle fois que ce texte lefanien demeure et restera indémodable.
L’ambiguïté de la relation entre les deux protagonistes principales appuie sur l’ambiance velouté, où deux personnages que tout oppose entrent dans la danse de la séduction, amenuisant peu à peu la limite entre l’amitié et l’amour. Laura, figure classique stéréotypée de la jeune bourgeoise innocente, blonde et fragile, envoûtée par Carmilla qui représente la tentation de l’inconnu, prédatrice vénéneuse qui fait naitre le désir et brouille les repères de sa proie.
Tout cela explose grâce à la talentueuse Isabelle Mazzanti, qui apporte un nouveau souffle à l’aide de ses dessins au crayon de papier et fusain, rehaussés par des éléments digitaux vifs et lumineux. Elle maitrise le jeu délicat du clair-obscur, technique parfaitement adaptée à ce texte classique.
On s’enfonce dans la noirceur hypnotique de Carmilla, découvrant une atmosphère horrifique et élégante qui rappelle le cinéma du XXème siècle avec ses contrastes marqués entre les ombres et les lumières, mais aussi celle des gravures du XIXème siècle. En effet, les illustrations de I.Mazzanti, entièrement habillées de bichromie avec seulement quelques rehauts rouge vif, s’inspirent de ce mouvement où les compositions étaient en noir et blanc avec des touches éparses de couleur.
De plus, elle réussit à apporter plus que de simples images au récit. A grand renfort de métaphores dessinées et de détails personnels, elle lui offre un nouveau sens: « J’ai essayé d’alterner des illustrations descriptives et d’autres plus métaphoriques et évocatives, pour créer une histoire « cachée » dans les texte » explique t-elle.
Un nouvelle fois, la collection Métamorphose nous fait découvrir un artiste de talent tout en dépoussiérant un texte datant du XIXème siècle. Une lecture captivante et veloutée où le regard s’attarde sur les images à la fois douces et imprégnées de la brutalité rampante des vampires, tandis que l’esprit s’imprègne de l’ambiance des lettres et des mots. Un bien beau livre, décidément.
Editions Soleil
Collection Métamorphoses
189 pages
Caroline