Frank Sinatra dans un mixeur est un cocktail détonant. Prenez l’intrigue complètement déjantée. Un braquage d’une caisse à crédit qui vire au cauchemar, un des deux mecs se fait descendre, l’autre s’en sort mais s’avère être le moins futé des deux, le moins utile aussi. Une aubaine pour deux autres types fiévreux qui sautent sur l’occasion de se faire beaucoup de fric facile. Ça cause en millions de dollars calés confortablement au creux d’un sac de sport. Mais si cela avait été aussi simple, on en serait pas là pour en causer, alors quand Valentine s’en mêle, ça vous fait un sacré beau ménage.
Valentine, ça aurait pu être l’archétype du flic romanesque, celui qui a mal tourné, violent, alcoolique -euphémisme-, solitaire. On y croit un temps, puis on découvre un homme franchement antihéros, le mauvais gars à souhait qu’il vaut mieux avoir avec soi que contre soi. Car ce qu’il est capable de faire, personne ne veut vraiment le savoir. Toujours équipé d’un flingue, d’une tronçonneuse et d’un pack de Corona, Valentine est aussi désordonné qu’il est adepte des rituels, ces derniers concernent l’alcool et la façon très méthodique qu’il a de se l’administrer. C’est pour lui l’essence qui fait tourner le moteur à plein régime et s’il a renoncé à la clope et au café, ne comptez pas sur lui pour qu’il abandonne sa dose quotidienne d’ivresse.
«Je quittai l’hôpital et bus une lampée de Jim Beam au goulot aussitôt que j’eus trouvé la voiture. Je chargeai le fusil et allumai le chauffage. Je ne supportais pas de voir Frank dans cet état. Je pris une autre rasade tout en cherchant des antalgiques dans la boite à gants. Mon visage enflait ; la peau autour de mon œil était tendue et gorgée de sang. Je sentis que mes entrailles commençaient à se consumer et je sus que le feu du bourbon était en route. Lentement d’abord, mais l’incendie viendrait à se déclencher comme toujours. »
C’est un récit court, ultra-dynamique qui alterne avec virtuosité les points de vue. Des voleurs volés au flic corrompu, tous y passent et c’est avec brio que Matthew McBride nous plonge au cœur de leurs pensées. La langue est délicieuse et folle, Laurent Bury -le traducteur- la manie ici avec perfection. C’est aussi un savant mélange de grotesque, de pathétique mais aussi d’horreur. Les scènes de bagarre et de torture sont particulièrement ignobles, à la limite de l’acceptable, et viennent se caler entre deux moments méchamment drôles où l’on se moque ouvertement des pauvres mecs que le destin malmène.
Le sort de toute cette fine équipe semble dès le début scellé, comme si la tragédie moqueuse et perverse venait se mêler à leur jeu de chasse à l’homme, laissant une chance au moins fêlé d’entre eux. Frank Sinatra dans un mixeur, titre épique pour récit absurde, laissera derrière lui pour sûr, quelques traces de sang, des dents dans une chaussette et un rictus sur vos lèvres…difficile à dissimuler.
Neonoir Gallmeister – Trad. Laurent Bury
246 pages – Lucie