Publié en 1954 en Angleterre, A l’école de l’amour était resté inédit jusqu’à sa traduction récente aux éditions du Sous-sol, qui nous habituent à leurs pépites dénichées. Ce roman au charme suranné réveille les souvenirs de ces lectures que l’on dévorait lors de longs après-midi de nos adolescences, avide des aventures de jeunes héros d’après-guerre qui couraient les rues, les cinémas et les cafés en compagnie de filles vraiment sensass, et nourrissaient leurs rêveries d’enfance des exploits des héros de Ridder Haggard, résolument vintages mais diablement séducteurs.
1945. A peine entré dans l’adolescence, Félix Lartimer quitte Bagdad, où il a vécu la guerre et la mort de ses parents, pour Jérusalem où une tante adoptive se propose de l’accueillir dans sa pension de famille — moyennant espèces sonnantes et trébuchantes — jusqu’à ce qu’un navire puisse le ramener en Angleterre. Le jeune Félix, empreint d’une infinie tristesse, du souvenir chéri de sa mère adulée, et d’une fraîcheur encore très candide, cherche sa place dans la maison tenue avec rigueur par une déroutante Mlle Bohun, tartuffe aussi pingre que dévote. Seule Faro, la chatte siamoise, semble faire preuve de l’affection dont il manque cruellement.
De jour en jour, la vie s’écoule, monotone, et les seules vagues qui agitent la surface en apparence lisse des heures sont les conflits entre la maîtresse de maison et sa domestique, une juive immigrée. Malgré, ou plutôt grâce à la touchante naïveté du regard de Félix, l’on devine une réalité plus complexe qu’il n’y paraît dans ces caractères brossés avec férocité par l’auteur : l’univers de Félix est borné par ces personnages atypiques qu’il observe avec curiosité et avec qui il tente désespérément de se lier. Un humour très anglais et une grande finesse soulignent la dérision dont fait preuve Olivia Manning en dépeignant ce petit monde de l’exil, et nombre de passages prêtent à sourire.
En filigrane de l’apprentissage de notre jeune héros en quête d’amour et de son identité, se dessine un portrait d’une Jérusalem en pleine effervescence où grouille un flot de réfugiés en errance dans la ville trois fois sainte. La fin d’une guerre qui a redessiné les cartes approche à grands pas. Le mandat britannique qui a cours depuis trente ans est sur le point de s’achever, et les tensions entre Juifs et Palestiniens s’accroissent. Hôpitaux et auspices débordent, les soldats approvisionnent leurs logeuses en boîtes de conserve, et la pénurie des denrées profite au marché noir. Alors que le monde bascule, certains tentent de se raccrocher à un passé qui disparaît, à des convenances qui s’amenuisent déjà, à des racines dont l’Histoire les a coupés, tandis que d’autres se lancent à corps perdu dans ce monde nouveau. Coincé entre une Mlle Bohun accaparée par un caricatural groupuscule religieux, et la ravissante Mme Ellis qui débarque dans sa vie, Félix apprend à ses dépens à acquérir le discernement et l’audace nécessaires pour se frayer sa propre voie dans cette existence sans cesse bouleversée.
Sur les pas de l’adolescent, le lecteur se délecte de suivre les pas alertes de Mlle Bohun dans la cohue des rues hiérosolymites, de tendre l’oreille aux douces lubies d’un vieux peintre amateur désargenté, de fréquenter les cafés emplis d’étudiants juifs et arabes rêvant de décrocher les bourses qui leur permettraient d’étudier Sartre et Kafka à Londres ou Paris, de croiser la figure esseulée d’une femme âgée hantant les bars des hôtels, de découvrir toute l’effervescence, ou encore de découvrir les froideurs hivernales des collines enneigées du Levant. Sous les abords d’une classique trajectoire personnelle dans la grande Histoire, A l’école de l’amour se distingue par la vive gaieté de la langue et la fraîcheur des croquis sur le vif d’une ville en pleine mutation, et offre toutes les qualités de ces romans d’apprentissage qui savent faire pétiller l’imagination, éveiller la nostalgie et enchanter le lecteur.
Editions du Sous-sol.
Traduction (anglais) Sylvie Schneiter.
224 pages.
2016.
Lou.