Le labyrinthe d’une vie est un croisement de personnages, de pensées et d’espoirs insensés qu’ils soient professionnels, amoureux ou existentiels. Un labyrinthe dans lequel Adam Foulds introduit deux poètes majeurs du XIXe siècle, John Clare (qui a terminé sa vie dans un asile) et Alfred Tennyson. Un labyrinthe qui a pour cadre le quotidien de la famille Allen et de ses patients.
“Debout dans le torrent du jour, Mary les observait. Les voyait souffrir en accomplissant leurs devoirs : ils se parlaient à eux-mêmes ou donnaient des instructions dans le vide, riaient de rien, agitaient les bras, étaient secoués de spasmes, se balançaient d’avant en arrière, fermaient les yeux comme un enfant qui attend un coup, comme une femme qui attend le poing de son mari. Victimes d’attaques, tous autant qu’ils étaient; des démons les attaquaient. La vérité en elle les exorciserait.”
À travers Le labyrinthe d’une vie, l’auteur nous immerge progressivement dans l’irréductible champs de la folie, mais aussi dans la faune et la flore des campagnes anglaises. Et, au détour d’une réflexion plus profonde, il nous invite “à dépasser le bavardage poli entre simples connaissances pour pénétrer dans la profondeur fluide de la vraie pensée”. Des pensées qui nous ramènent à notre condition humaine, à notre statut de pion sur le grand échiquier de la vie ou celui de brin d’herbe dans la nature. Des pensées qui relèvent de sensations qui nous dépassent et nous font toucher du doigt une vérité qui nous transcende.
“Dans l’enfance je parvenais à entrer en transe en répétant mon nom indéfiniment jusqu’à sentir mon identité complètement dissoute. Ce que j’étais alors, c’était un être en quelque sorte mêlé à quelque chose de plus grand, porté par une véritable vastitude. C’était abstrait, chaud, monotone et effrayant.”
Adam Foulds profite de l’arrivée d’un nouveau patient pour nous introduire dans ce monde à la fois clos et vaste de l’asile psychiatrique. Clos par ses murs, ses diagnostics, ses règles. Vaste par les réflexions poétiques et les espoirs chaotiques des uns et des autres, mais aussi par le paysage champêtre qui entoure la propriété ; espace à la fois protecteur et imprévisible qui isole et relie au monde extérieur.
On trouve ainsi un subtil mélange de “normalité” et d'”irrationalité” dans la propriété du Dr Allen. On navigue entre des pensées et des vies qui se croisent mais interfèrent rarement, entre les illusions des membres de la famille Allen et les hallucinations des internés. Et si la frontière entre “fous” et “normaux” reste inamovible, leurs pensées se rejoignent parfois entre ressentiments, idées innovantes, amours déçus, mélancolie et croyances insensées.
D’un côté vit la famille Allen : Eliza et son mari, Matthew : l’ambitieux Dr Allen qui, sous ses airs de bon père de famille, a plus l’âme d’un entrepreneur que celle d’un médecin. Fulton qui tente maladroitement d’égaler les compétences de son père dans l’espoir de prendre sa suite à la tête de l’asile. Hannah qui a jeté son dévolu sur Alfred Tennyson, poète plutôt taciturne venu accompagner son frère mélancolique. Abigail, petite dernière qui virevolte naturellement entre les patients et sa famille.
De l’autre vivent, entre autres : Charles Seymour, aristocrate qui n’est fou que d’être enfermé sans raisons valables. Margaret et ses hallucinations divines, “Clara la sorcière” et “Simon l’idiot”. Et John Clare, poète incompris, dépressif, marié à Patty mais amoureux de Mary et de la nature. C’est plus précisément dans le labyrinthe de sa vie qu’Adam Foulds nous emmène.
On suit John Clare, perdu dans ses pensées et sur les chemins forestiers, entre passé et présent, se heurtant à la vie des autres dans un élan de lucidité. Au gré de se pérégrinations on assiste à sa lente chute vers un abîme dont personne ne semble pouvoir le tirer. Enfant,
“Il pensait que le bord du monde se trouvait à un jour de marche, là où le ciel qui enfante les nuages touchait la terre à l’horizon. Il pensait qu’en parvenant là-bas, il découvrirait un gouffre profond où il pourrait plonger son regard pour voir les secrets du monde.”
Il semble que, d’une certaine manière, cette croyance l’a accompagné toute sa vie.
éd. Piranha, 2017 (V.O 2009)
253 pages
traduit de l’anglais par Antoine Cazé
Pauline