«Candide et lubrique » est le quatrième roman de l’auteur anglais Adam Thirlwell. Après Politique (2004), L’évasion (2010) et Le livre multiple ( essais littéraires, 2014) tous parus chez l’ Olivier, Ce roman marque le retour du fils prodige de la littéraire anglaise.
Le héros de ce roman se réveille dans une chambre d’hôtel, un lendemain d’énorme fiesta, symbole de tous les excès possibles pour notre narrateur. A ses côtés, dans le lit, se trouve inconsciente, sa meilleure amie – avec qui, par déduction, il a fait la fête et a fini dans cette chambre – un filet de sang coulant de sa tête. Une seule question se pose à notre jeune héros : Comment sortir ce corps quasiment sans vie de cette chambre, et l’emmener sans se faire repérer, et surtout sans que cela ne se sache, jusqu’à l’hôpital, pour la faire soigner. Notre héros, marié, un chien, vivant avec sa femme chez ses parents, a mis le pied dans un engrenage qui va le mener de péripétie en péripétie dans un cauchemar éveillé burlesque et insolent.
« La seul chose qui a fait de moi quelqu’un de différent c’est que, moi, je réfléchis beaucoup plus. C’est en raison de ce processus de réflexion excessif qu’au sein de ma famille on me considérait avec adoration comme un prodige. Mais lorsqu’on réfléchit plus que les autres, si modeste cette différence puisse-t-elle paraître, elle peut énormément s’agrandir et on finit avec de tout autres résultats. Cela signifiait certainement que je me sentais un tout petit peu séparé du monde – chaque fois que je voyais un objet, la conscience que j’avais de le voir demeurait entre moi et lui, tel un halo, m’empêchant de l’appréhender directement – et c’est pénible de vivre dans cet état. »
« Candide et Lubrique », qui est raconté à la première personne, se focalise totalement sur notre malheureux héros, ses mésaventures et surtout ses divagations. Comme le souligne plus haut l’extrait, notre narrateur n’est pas avare en réflexions et divagations. Ainsi les scènes s’étirent, s’éternisent, car notre héros part systématiquement dans ses réflexions les plus profondes à chaque nouvel évènement, et ce pour le plus grand plaisir du lecteur. Car finalement, toute l’intelligence de ce texte consiste à rendre ce qui se passe dans la tête du personnage aussi, voir même par moment, plus intéressant que l’action en elle-même. Une relation purement voyeuriste se met en place avec le lecteur, avec cette sensation ô combien jouissive d’entrer dans sa tête. L’action en elle-même prend souvent, au vu des réflexions de notre cher malheureux narrateur, une teinte particulière, une scène de sexe peut devenir drôle, un braquage métaphysique ou une partouse pleine de bon sens et de franche camaraderie. Un décalage constant qui rend ce roman insolent et plein d’ironie, mais surtout qui met encore plus en avant l’absurdité du monde contemporain.
Adam Thirlwell est talentueux, original et a tout simplement écrit un livre génial de la première à la dernière page. « Candide et Lubrique », sous la très classieuse traduction de Nicolas Richard, c’est un peu tout ce que vous avez toujours voulu savoir sans jamais oser le demander de la vie d’un jeune candide et lubrique.
« Parce que je n’aime pas mal agir. Je suis tout à fait contre. Et s’il y a une chose qui est mal, c’est bien de se réveiller dans un lit à côté d’une femme qui n’est pas la vôtre. OU disons, non, car en fait il y a des façons plus ou moins bonnes ou mauvaise de très mal agir, et sur un plan général, tandis que j’examinais cette situation avec autant de scrupules que possible, je devais reconnaître que faire ça avec une femme, qui, à maints égards, était votre meilleure amie constituait une erreur supplémentaire car je pense que je défendrais de bon cœur, dans le salon de votre choix, que faire l’amour avec une amie commune est probablement pire, pour votre femme adorée, sur l’échelle du mal, que de faire l’amour avec une inconnue de passage. »
Éditions de l’Olivier,
Trad. Nicolas Richard,
396 pages,
Ted.