Littérature étrangère ou littérature française ? Le premier roman d’Albena Dimitrova, pensé en bulgare et écrit en français, brouille cette frontière. L’auteur parle elle-même d’une « écriture avec accent». Et oui, l’écriture est charmante, rafraichissante. Elle est colorée malgré la grisaille de la fin du régime communiste ou de l’ambiance aseptisée d’un sanatorium. C’est dans un hôpital à la fin des années 80, qu’Alba, adolescente ordinaire, rencontre Guéo, membre respecté du Politburo. C’est dans un hôpital qu’ils vont se découvrir, essayer de garder leurs distances pour mieux se rapprocher.
Ce qui unit Alba et Guéo, c’est la paralysie. Jambe qui décide, pour elle, de ne plus lui obéir. Appareil politique et carrière qui font que Guéo est en permanence surveillé et entravé par sa position et son passé. Toutefois, en s’aimant, ils vont résister au destin qui semble tracé. Union improbable, voire interdite, ils vont envers et contre tous, refuser leurs différences. Entre urgence de leur passion et résignation quotidienne, ils se découvrent un point d’ancrage, la possibilité d’un autre chemin. Ils scellent leur bonheur en se donnant rendez-vous pour un dîner à Paris, hors du temps qui est le leur. Dîner en français, loin des préoccupations du régime, dans un pays, une société et une langue qui n’admettent aucune pression sur eux.
“Je n’ai jamais possédé le cœur de Guéo. Lui non plus, il n’a jamais possédé le mien. Nous les avons juste fait battre ensemble. Etions-nous libres ?”
Leur histoire est ponctuée par la rédaction d’un rapport sur la déroute communiste et les moyens d’y remédier. Un rapport sur des maux. Histoire naissante accompagnant la fin d’un régime, d’une société. Espoir d’avenir, d’altérité, de liberté sur les ruines du communisme. A Paris, Alba devra se découvrir, s’inventer un futur, fonder sa nouvelle vie sur l’incertitude de retrouvailles avec Guéo.
Nous dînerons en français est un long souvenir heureux et mélancolique, une histoire poétique, touchante et fragile, mais également un plaidoyer solide contre les dérives politiques. Une atmosphère langoureuse, lancinante et cotonneuse, qui dresse des cartographies physiques, sentimentales et politiques. On redécouvre un français léger, serein, qui dédramatise les fins inéluctables de l’histoire. Un premier roman d’une grande maturité.