« Je n’étais plus sûre d’être une personne. J’étais peut-être un phoque. »
Qu’attendre d’un tel résumé ? Dans cet Album, Gudrun Eva Minervudottir compile des instantanés d’enfance, de ses premiers souvenirs à son envol (ce qui réfute l’hypothèse du phoque). Écrivaine islandaise reconnue – elle reçoit en 2011 l’Icelandic Literary Prize, équivalent du Goncourt – Album est un premier roman qui frôle avec l’auto-fiction mais emporte chacun d’entre nous dans ses propres souvenirs.
Tout d’abord, pour la narratrice, le monde est fait de femmes et de chats. Sa mère, sa tante et des chats. Puis un automne, elle emménage avec sa mère chez un barbu aux dents du bonheur. Et elle y gagne un frère. L’été suivant, une petite soeur arrive. Mais la famille ne restera pas toujours unie. Au fil d’une centaine de souvenirs, Gudrun Eva Minervudottir égrène l’enfance, les détails insignifiants qui rythme le quotidien des jeux. Autour de l’album photo, elle crée un album écrit, où instants banals et moments cruciaux se côtoient, sans que le protagoniste n’en ait toujours conscience.
« Mais moi, j’étais pour le chat. Nous n’étions pas habilitées à l’abreuver d’injures, nous n’étions pas plus civilisées que lui. »
Avec cette concision qu’on attribue souvent aux écrivains islandais, Gudrun Eva Minervudottir livre un premier roman frêle, frais mais jamais fragile. Une grande force se dégage au contraire de ce minimalisme gracieux. Sans jamais céder à la mièvrerie, on suit le parcours d’une famille parfois cahotée. Mêlant jeux, déceptions, bonheurs et corvées, elle dépeint à merveille l’innocence de l’enfance et la part de merveilleux qui s’y engouffre. Chaque détail prend des formes inattendues, devenant le terrain de l’imaginaire.
« J’étais en train de sauter à la corde devant la maison de retraite quand le garçon aux dents brunes arriva en se dandinant. Il avait la forme de Barbapapa et ses chicots étaient si dégoûtants qu’on ne pouvait s’empêcher de les regarder fixement. Il me demanda si j’avais rendu visite à la femme de la maison verte. »
Avec douceur, justesse et poésie, l’auteur nous transporte dans des contrées lointaines, celle de l’Islande du quotidien, celle de l’enfance, celle de l’intime, mais aussi celle de nos propres souvenirs. Un court roman qui place Gudrun Eva Minervudottir comme une écrivaine majeure de la littérature islandaise contemporaine, qu’on réduit bien trop souvent au seul genre policier.
Editions Tusitala,
Traduction de Catherine Eyjolfsson,
116 pages,
Aurore