L’auteur britannique Alex Pheby nous offre, avec Mordew, un petit bijou de dark fantasy. Premier volume de la trilogie Cities of the Weft, il combine délicieusement roman gothique, fantastique et aventure. Il y est question de (beaucoup de) boue, d’un chien qui parle et de gamins truculents.
Mordew est une cité sombre et violente, dans laquelle riches et pauvres sont distinctement séparés. Le jeune Nathan Treeves, héros de l’histoire, grandit du mauvais côté, dans les terribles bas-fonds. Sa mère subsiste grâce à la prostitution, son père, infesté de vers pulmonaires, est sur le point de succomber sans dignité à sa maladie.
Or Nathan n’a qu’une idée en tête : trouver, par n’importe quel moyen, l’argent qui payera un traitement à son père. Revendre les créatures difformes générées aléatoirement par la boue féconde rapporte trop peu. Il ira donc jusqu’à se laisser embarquer dans la lourde cage du Roulier. Cet étrange vieil homme chargé de convoyer des enfants ne cesse d’arpenter la route en verre magique. Au bout de la route, la Manse, domaine de l’énigmatique Maître de Mordew. A quelles tâches sont employés ces enfants ? Impossible de le savoir. Ce qui compte avant tout ce sont les quelques pièces envoyées chaque semaine aux parents des « volontaires »…
Mais Nathan croise la route de Gam Halliday et sa bande, un gang d’enfants des rues. Il y a Joes, deux enfants dans un seul corps et l’insolente Prudy, dont Nathan tombera amoureux. Ayant établi leur base dans l’ancien repère, tapissé de milliers de livres, d’une quelconque société secrète disparue, ils passent leur temps à fomenter de mauvais coups, vols et petits crimes pour gagner de quoi survivre. Avec Nathan dans leur rangs, ils remplissent des missions de plus en plus dangereuses, sous les ordres de l’ignoble M. Padge, assassin et notable influent. Tout se complique encore un peu plus quand Nathan prend conscience qu’il possède en lui une magie puissante et destructrice qu’il est incapable de maîtriser.
Si le thème de l’aventure initiatique reste un grand classique de la Fantasy, Alex Pheby ne s’en tient pas aux codes du genre. En quatre parties aux titres qui laissent présager les possibles les plus explosifs – Le silex, L’amadou, Pyrolyse, La poudrière – Mordew déploie un monde riche, sombre et chaotique. Ce dernier est régi tant par la magie que par les intrigues politiques et les luttes sociales, ce qui permet différentes lectures du roman.
Partout en dessous de lui s’étendait la fumée, comme les rides tranquilles d’une brume à la surface de la mer par un matin froid et serein à marée basse. Tout ce qui se passait sous la surface, la violence que les créatures les unes sur les autres exerçaient, tout cela demeurait caché. Que sait un homme campé sur une rive des activités des poissons, des crabes, des coraux et des courants dans les abysses de l’océan ?
Dans une écriture rythmée, parfois même effrénée, Alex Pheby nous plonge peu à peu dans le plus grand chaos. Nous croisons des hommes-ouïes et un chien qui parle, observons des livres magiques (et pas seulement « de magie ») et assistons à l’invocation d’un démon. Nous sommes entourés de nombreux fantômes et de beaucoup d’hommes louches, et nous traversons la mer sur un bateau au nom Irlandais tiré par un énorme poisson caractériel.
Enfin, ce roman est un foisonnement de personnages plus étranges les uns que les autres, de symboles et de concepts. A la fin du volume, un glossaire nous permet d’en apprendre encore davantage sur l’univers de Mordew. Il est à consulter, ou non, pendant la lecture pour comprendre la philosophie du roman. Il nous donne à voir l’envers du décors, et tout ce que la plupart des personnages ignore.
Mordew méritera sans doute plusieurs lectures pour en capter toutes les subtilités métaphysiques, détails et recoins avant de plonger dans le deuxième volume. Pour les lecteurices impatient·e·s et anglophones ce dernier vient tout juste paraître chez Galley Beggar Press.
Paru aux éditions Inculte le 7 septembre 2022
Traduit de l’anglais par Claro
736 pages
Amélie