Un énigmatique recueil sobrement intitulé « After Yang et autres nouvelles », avec en couverture l’affiche du film qui adapte l’une d’entre elles. Nous pouvons voir Colin Farrell et une famille multi-ethnique avec un énigmatique adolescent en premier plan. Vous ne le savez pas encore, mais ce livre devrait pas mal faire parler de lui.
Alexander Weinstein est un jeune auteur américain, professeur agrégé d’Anglais à l’Université de Siena Heights. Il est également directeur du « Martha’s Vineyard Institute of Creative Writing ». After Yang ( Children of the New World, en Version original, reprenant le titre d’une autre nouvelle) a été choisi par le New York Times comme l’un des 100 livres remarquables de 2016. Ce petit succès intéressa le milieu du cinéma et Kogonada a adapté librement la nouvelle du même nom, gardant le propos de départ, mais en développant l’univers pour proposer à priori un film à l’ambiance intimiste avec une photographie très travaillé proposant un esthétisme organique et chaleureux à l’opposé des dernières productions plus froides et artificielles visuellement dans le genre de la science-fiction.
Ce qui peut donner un parfait aperçu de ce que propose Alexander Weinstein dans son recueil. Le livre est composé de treize nouvelles, ayant des thématiques communes comme l’identité, le souvenir, l’attachement ou encore les sentiments. Ainsi, dans la nouvelle titre, nous suivons une famille devant faire leurs adieux à Yang, un androïde de soutien qui accompagne leur fille adoptive depuis qu’elle est arrivée dans leur famille. Yang étant devenu un membre de la famille, un fils, un frère, un père de substitution, bref, un pivot dans la famille. Les cartographes questionnent sur la valeur des souvenirs, ceux que l’on vit et ceux que l’on achète dans un avenir où la technologie nous permettrait de pouvoir consommer des souvenirs comme une série sur Netflix. “Heartland” aborde la filiation et la question de l’exploitation de ses enfants dans un monde où la planète se meurt et le travail manque. Sans vouloir tout détailler, vous pouvez constater une sorte de « pattern », abordant sans cesse les valeurs des liens, des sentiments, des identités ou encore du souvenir. Une constante sur onze nouvelles, puis il y a les extraits d’un bien curieux dictionnaire ainsi qu’une brève histoire de la révolution ratée, proposant une lecture plus généraliste, comme un état des lieux, avec pour la première un certain cynisme décalé et drôle, mais curieusement très familier avec notre époque.
Il en ressort un tout, un sentiment d’unité global. Alexander Weinstein propose une cartographie de l’intime dans un monde où les règles changent et évoluent bien souvent hors des marges pour questionner ce qui définit l’humain, son identité ou sa conscience. Ainsi pouvons nous aimer des objets ou des robots, des souvenirs ont-ils plus de valeurs que le réel, pouvons nous empêcher l’enfance d’être vécu face au danger du monde, ou encore quid de la spiritualité dans une société de contrôle toujours plus forte et liberticide. Dans chacune d’entre elles, l’auteur replace l’humain au centre, et avec énormément de modestie et d’empathie nous projette dans des devenirs toujours plus inquiétants et préexistants, qui sont d’ores et déjà pensé et imminent dans notre monde.
Puis, il faut souligner la qualité d’écriture d’Alexander Weinstein, très rapidement nous comprenons que son écriture est pensée et stylisée pour servir un propos. D’une fluidité remarquable, l’auteur n’oublie jamais de nous déconnecter du réel pour nous plonger dans une ambiance et dans un univers. En cela, nous pouvons trouver un lien de parenté évidente avec deux autres auteurs des marges, à savoir Jeff vandermeer dans la science-fiction, ou encore Raymond Carver, cherchant tout comme ces derniers à proposer un tout cohérent, captivant avec une écriture minimaliste et élégante ainsi qu’une intelligence des mots pour percuter le lecteur au bon moment. Lisez un passage à haute voix, vous serez surpris, promis.
After Yang est une magnifique découverte, un recueil passionnant et intimiste qui peut, par bien des aspects, se rapprocher de la série « Tales from the loop » de par les ambiances ou les thématiques abordées. Alexander Weinstein impressionne et touche du bout de ses mots des vérités profondes avec After Yang et ses autres nouvelles. Actu Sf propose ici un livre essentiel, magnifiquement traduit par Hermine Hémon et Erwan Devos, qui devrait faire parler de lui dans les semaines à venir. Alors souhaitons lui tout le succès qu’il mérite.
Editions ActuSF,
Trad. Hermine Hémon & Erwan Devos,
350 pages,
Ted.