Grâce à son trait mouvant, sa découpe des planches quasi cinématographique et la justesse de ses propos, Alice VDM signe une première bande dessinée qui heurte et marque : Ma vie sans Billie. On y croise Lucas un trentenaire tranquille et sans histoire. Maître-nageur dans une piscine publique, il est apprécié aussi bien par ses collègues que par les visiteur·ses pour sa patience, sa pédagogie et sa gentillesse. Un soir, une présence vient chambouler son quotidien : Billie, une jeune femme aux cheveux roses, fumant clope sur clope et qui semble déterminée à squatter le canapé de Lucas malgré ses réticences. En un clin d’œil, elle prend ses aises et s’étale à la manière d’une créature tentaculaire, venue pour bouleverser la vie de son hôte de façon pernicieuse.
On n’arrive pas vraiment à saisir l’essence de Billie : s’agit-il d’une sœur surgissant à l’improviste ou bien de la personnification d’un profond sentiment de culpabilité ? Une chose est sûre, elle réveille en Lucas les échos de tristes souvenirs en lui annonçant que sa/leur mère est mourante. Cette même figure maternelle, avec qui il a volontairement rompu tout lien depuis dix ans, qui l’a maltraité durant toute son enfance en le rabaissant et l’humiliant quotidiennement. Dont il pensait être enfin guéri. Mais avec la présence oppressante de Billie, ses vieux cauchemars refont surface et le passé ressurgit douloureusement, par flash. Lucas est alors tiraillé entre l’affection qu’il éprouve toujours, le besoin de reconnaissance et le détachement complet et sans retour.
Alice VDM dépeint une lutte intérieure tenant de la survie pure, retranscrit l’emprise de la manipulation familiale, le poids des remords et des regrets. Lucas souffre d’anxiété, fait des crises d’angoisses et perd pied face à la nouvelle de la mort imminente de celle qui fut à la fois sa famille et sa tourmente. En parallèle Billie, oiseau de mauvais augure, l’écrase et le parasite, le hante. Son corps se déforme, et elle devient peu à peu la figure distendue d’un malaise grandissant. Est-elle réelle ? Est-elle la métaphore de sa conscience, une projection de sa mère ?
L’autrice traite également du deuil : celui de la fin d’une existence et celui de la rupture définitive et nécessaire d’un lien. Ma vie sans Billie aborde avec beaucoup de justesse cette relation toxique entre une mère et son fils, en dénoue l’enchevêtrement de sentiments et de souvenirs, pince la corde sensible des drames familiaux.
Un premier ouvrage très réussi, autour d’une thématique douloureuse et complexe.
Sarbacane
96 pages
Caroline