Dans son roman A mains nues, la comédienne et écrivaine Amandine Dhée poursuit sa réflexion impulsée dans La femme brouillon (Prix hors concours 2017).
Son exploration autour de la question « Ça veut dire quoi, être une femme? » s’étend, et se déroule cette fois-ci en une écriture vive abordant les différents âges et étapes de la vie d’une femme, de l’enfance à la vieillesse.
En chapitres-miroirs, l’autrice dissèque le désir, sa découverte, son exploration, son partage mais aussi les tabous et les injonctions qui l’encerclent. Alternant le passé et le présent, elle donne la voix à celle qu’elle a été, qui a fait celle qu’elle est devenue.
Amandine Dhée interroge la place de la femme; celle qu’on lui impose à travers le papier glacé des magazines, les affiches placardées sur des façades entières, et puis celle qui bouillonne au fond, qui se heurte à toutes ces injonctions.
C’est quoi ces histoires d’amante, de mère, de “en couple”? Ces rôles étriqués aux modes d’emplois strictes et englobants tout sans se soucier de l’élagage qui s’en suit? Même les corps et leurs sens, les peaux et leurs odeurs semblent aseptisés et sous l’emprises de dictats aussi nombreux que contradictoires.
De ce fait, on se compare, on se bride, on tâtonne en oubliant de se laisser aller.
“Et puis les codes. On ne peut pas se jeter à la tête de quelqu’un, s’offrir toute crue, il n’est pas d’usage de lui dire, Je te veux, baisons. Cela signifierait que celui qui est là en face d’elle n’est pas unique et exceptionnel, qu’elle pourrait faire la même chose le samedi suivant avec d’autres garçons, qu’elle ne se préserve pas comme une porcelaine fine, un sanctuaire indien, un récifs coralliens, et pour une fille c’est triste, pas vrai? Une femme doit désirer, mais pas trop, sinon c’est une. Être séduisante, mais pas trop, sinon c’est une. Tout est une question de mesures, alors elle contient son désir démesuré.”
A travers A mains nues, l’écrivaine parle de ses engagements féministes et politiques face à ses expériences intimes. La liberté, l’émancipation, l’égalité et l’éducation sont abordés à travers la construction personnelle et sexuelle qu’elle vit et écrit. Ici le rapport à sois, aux autres et à l’environnement est vu à travers le prisme souvent tabou et effacé de la sexualité dans la société actuelle
Lisse ou primaire, forte ou rabaissante, il ne semble pas y avoir de demi-mesure pour la libido féminine. Mais Amandine Dhée démêle avec finesse le vrai sexe du faux, dénonce avec humour les prérogatives tristes. Elle parle de la sexualité des femmes vécue et ressentie par elles, pas celle omniprésente répondant aux fantasmes masculins.
“Trop-plein de lucidité. Je ne veux pas me calfeutrer, pourtant, je ne veux pas ignorer. Je veux être témoin. Surtout pas m’habituer. Mais parfois j’aimerais me débarrasser de ma peau de femme, me changer en bois ou en pierre, ériger des remparts, ne plus être atteinte, jamais. Comment faire avec la violence ? Bien sûr, ce n’est rien, juste une affiche banal sur une route nationale, ce n’est pas moi dessus, mais c’est dans mon air, ça me poisse pareil.”
D’ailleurs, Amandine Dhée parle avec bienveillance de tous les désirs, ceux de tout âge; la masturbation féminine adolescente, l’amour après une grossesse, les vibromasseurs dans les EHPAD.
En étant lucide sur sa vie, en prenant du recul sur ses craintes et ses besoins et en se projetant avec simplicité, elle écrit un roman riche et coloré. Ainsi, A mains nues déconstruit les mythes freudiens poussiéreux et absurdes avec beaucoup de second degrés et de finesse.
“Je sais bien que au final, il s’écrira lui-même. Qu’il s’appuiera sur l’amour qu’on lui porte pour s’éloigner de nous, se créer à son tour. Quand il sera plus grand, j’espère qu’on se posera ensemble la question : ça veut dire quoi, être un homme ?”
Editions La contre allée
Collection La sentinelle
137 pages
Caroline