Qui n’a jamais entendu parlé du Petit Chaperon Rouge, ce conte aux versions plus ou moins édulcorées et à la fin empreinte de morale? Tout d’abord récit retransmis de génération en génération oralement, il fut ré-écrit par Charles Perrault dans ses Contes de la mère l’Oye puis par les frères Grimm pour finalement devenir un véritable classique de la littérature enfantine, mais également adulte, grâce aux différents seuils de lecture ainsi que les métaphores et allégories qui y sont dissimulées.
Amélie Fléchais nous propose sa propre version de la célèbre histoire, en inversant les rôles des protagonistes principaux, apportant ainsi une toute autre dimension au texte;
Un petit loup vêtu d’une cape rouge doit apporter un tendre lapin à croquer à sa grand-mère édentée, trop âgées pour chasser d’elle même. Mais la maman louve le met en garde contre le dangereux chasseur et sa fille habitant le bois mort à l’orée de la forêt luxuriante et profonde où vivent les quadrupèdes à fourrure.
Bien sûr, le petit loup va vite oublier sa mission première, divaguant de scarabée en nuage de pollen et finalement perd de vue le précieux sentier qu’il ne devait en aucun cas quitter.
Voilà qu’une petite fille à la tignasse blonde, au visage emprunt de douceur et de gentillesse va le trouver en pleurs, le rassurer et l’emmener chez elle pour qu’il soit en sécurité, lui promettant de surcroit de lui donner tous les lapins grassouillets qu’il souhaite.
Evidemment, il s’avère que l’enfant à l’allure innocente n’est autre que la fille du chasseur, qui souhaite la mort de la famille du Petit Loup aussi ardemment que son père. Elle raconte au petit être encapuchonné et terrifié d’où vient toute cette haine contre ceux de son espèce; ce n’est autre que sa propre meute qui est coupable de la mort de sa mère chérie, dévorée par les horribles canidés sous le regard impuissant de son père bucheron.
Cependant, papa loup va sauver son rejeton des griffes de la famille sanguinaire et lui racontera une autre version de l’histoire; celle où la défunte aimait danser les nuits de pleine lune en compagnie des bêtes fauves et leur cousait de magnifiques manteaux pour leur témoigner son affection profonde. Mais vient un jour où, pris de panique à la vue de sa femme aux milieu des bêtes sauvages, le chasseur fit feu et la tua par mégarde. Depuis, il vit seul en compagnie de sa fille qu’il élève dans la haine des animaux, autrefois amis de sa regrettée épouse, rongé par les remords et la culpabilité, n’assumant pas l’acte horrible qu’il a réalisé.
Qui raconte la vérité et qui ment? Le père loup ou le père homme? Dans tout les cas, chacun le fait pour servir un but commun; sauvegarder l’innocence de sa progéniture et son statut de parent idéal. Mais ici, c’est l’animal qui prône la paix et l’entente entre les espèces alors que l’homme sème le germe de la cruauté aveugle dans le coeur de son enfant. Le loup craint le chasseur, qui se craint lui-même mais qui préfère se voiler la face et décharger sa responsabilité sur plus vulnérable que lui.
Le louveteau, bien qu’il mange goulûment un innocent petit lapin, est l’incarnation de l’innocence et de la naïveté de l’enfance, tandis que la jeune fille se révèle être manipulatrice, pleine de mauvais attentions et de cruels desseins, ayant des pensées inadaptées à son jeune âge à cause du non-dit de son géniteur.
Bien que cet album soit destiné en premier lieu à un public jeune, Le Petit Loup Rouge marque par ses teintes claires-obscures, naviguant entre un texte parfois sombre et une prose simpliste pleine de naïveté.
Le détournement du conte originel soulève des questionnements sur la frontière entre le bien et le mal, la perception d’autrui selon ses préjugés et ses peurs, l’impact de l’éducation sur les nouvelles générations.
Amélie Fléchais nous démontre tout en douceur et en poésie que ces notions de méchanceté et de gentillesse sont bien fragiles et dépendent surtout du côté de la ligne où l’on se situe. En plus de reprendre la morale initiale traitant de la méfiance face aux inconnus, l’auteure apporte également une nouvelle dimension en allant au-delà des apparences et en s’appuyant sur le passif et les raisons qui poussent chacun à agir de la manière qu’il croit juste.
La fuite de l’innocence et l’arrivée brutale dans le monde des adultes sont aussi des thématiques sous-entendues. Le cheminement sur le sentier du louveteau peut-être vu comme un rapprochement du cheminement à travers la vie, de l’expérience que l’on tire de ses erreurs lorsque l’on quitte le chemin rassurant qui mène vers ce que l’on connait déjà, du risque que l’on prend à sortir des sentiers battus.
Côté graphisme, cet album est tout simplement envoûtant: superbes planches alternant l’aquarelle et la gouache selon les étapes de l’histoires, mise en page soignée et textes intelligents… Mais n’oublions pas que l’auteure est également une artiste aux multiples dons, travaillant notamment pour les studios Dreamworks, rien d’étonnant donc à ce que cet ouvrage ait remporté le prix du Meilleur album d’illustration 2014 au festival BD international (Solliès-Ville).
L’imagination d’Amélie Fléchais est riche et débordante à tous les niveaux et elle nous invite généreusement à pousser les portes de cette forêt aux allures enchantées, aux couleurs chatoyantes et pleines de vie. Ses illustrations pleine page nous happent littéralement dans son univers duquel on ressort à contre-coeur, car il nous rappelle celui de notre enfance, du monde perdu et merveilleux des rêves et des contes.
Mélancolique et coloré, rempli de citations poétique à souhait, Le Petit Loup Rouge est un très bel album jeunesse à piquer dans la bibliothèque des petits, à s’offrir sans culpabilité pour s’émerveiller et se laisser transporter par l’univers enivrant d ‘Amélie Fléchais et ses doigts de fée, qui propose de sûrcroit une leçon de vie à apprendre aux enfants et à ne pas oublier lorsque l’on est plus grand, celle de la tolérance.
Editions Ankama
80 pages
Caroline
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