Il y a un peu plus de 20 ans, Cyprien lors d’une procession voulut faire une farce aux habitants de son village en revêtant un masque de démon cornu en papier mâché sur la tête. La farce fit son effet et la frayeur s’empara de tous ceux qui l’aperçurent. Mais voilà la blague
passée, la honte installée Cyprien n’arriva plus à défaire le masque, il s’était collé sur son visage, comme s’ils ne faisaient plus qu’un. Malgré l’isolement chez lui, les médecins plus ou moins douteux que son père ramena de la capitale, rien n’y fit, toutes ses économies
y passèrent mais rien ne changea le masque était toujours là !
Décidant de fuir pendant la nuit, car il ne voulait plus être un poids pour ses parents et cherchait désespérément un refuge où se faire oublier, Cyprien tomba sur une étrange maison. Une maison avec une horloge qui ne marchait que la nuit, un robinet qui coulait quand on y pensait et faisait couler seulement du vin, le mobilier de la chambre qui s’évaporait au premier signe du jour et une mystérieuse porte noire fermée à clé, mais qui laissait échapper d’étranges bruits. Cyprien y resta vingt ans.
La maison du maudit comme la nomme Cyprien, car c’est la réelle sensation qui domine à la lecture quand vous ouvrez « La nuit aveuglante ». Une maison aussi mystérieuse, intrigante et effrayante que le mal qui frappe le visage de Cyprien. Le temps semble s’arrêter, le monde s’effacer autour de cette maison, à moins que ce ne soit lui qui soit devenu invisible. Le doute baigne et ronge notre personnage dans un univers paradoxal, où aucun plaisir ne lui est accordé, le vin coule à flot mais ne le saoule pas, un lit confortable mais où il ne peut pas trainer dedans le matin venu. Une extrême solitude, mais des feuillets disponibles pour écrire, un seul livre à lire. Un paysage à couper le souffle qui incite à partir, mais passivement cette maison le retient prisonnier. Le fantastique se fait métaphysique et psychologique, l’anormalité arrive toujours à des moments clés qui font avancer le personnage vers sa liberté ou à moins que ce soit vers sa mort ?
Comme l’inquiétant « Une nuit sur le mont chauve » de Modeste Moussorgski, « La nuit aveuglante » d’ André de Richaud inquiète, angoisse mais magnétise. Le lecteur est absorbé par cette inquiétante maison et par les divagations de Cyprien. Le lunaire Mont Ventoux absorbe l’air du lieu et le lecteur se retrouve à chercher son souffle dans cet univers sans vie. La prose de l’auteur est majestueuse, d’une maitrise incroyable et contribue, comme Edgar Poe dans son style, à développer une poésie de l’obscure, une esthétique de l’angoisse.
Donc pour terminer je dirais, oui André de Richaud est un grand, très grand, même un immense auteur français. Oui « La nuit aveuglante » est magistrale et incroyable, un livre qui marque les esprits et laisse son empreinte longtemps après avoir refermé le livre. Un livre que l’on peut lire et relire en trouvant à chaque fois de nouveaux détails tout en étant toujours autant subjugué par la prose et le génie de l’auteur. Et surtout oui il y a du bon à faire confiance à des éditeurs indépendants qui osent proposer des livres rares et beaux qui marqueront à jamais l’histoire de la littérature.
Tusitala éditions
175 pages
Ted