De l’Antigone de Sophocle à celle d’Anouilh, écrite au début des années 40, vingt-trois siècles ont passé. Pourtant, la tragédie grecque de la plus jeune des Labdacides a su traverser les époques. Grand admirateur de la pièce originelle, Jean Anouilh ancre dans un langage contemporain la mort des enfants d’Œdipe, rendant accessible une œuvre universelle.
Antigone naît pendant la Seconde Guerre mondiale, Anouilh évoquant « la résonance avec la tragédie que nous étions alors en train de vivre ». Métaphore de la Résistance face au régime Nazi ; apologie des collabos ou encore simple relecture d’une tragédie grecque ? Les trois thèses sont évoquées dans les années qui suivirent, mais Anouilh laissait entendre qu’il s’agissait bien d’une pièce résistante. Pièce dont le livret a du être approuvé par la censure hitlérienne. Bureau de la censure qui n’a pas du être bien attentif à cette version, tant l’éloge de la résistance face au pouvoir paraît évident. Si la pièce de Sophocle se concentrait plus sur Créon, celle d’Anouilh remet au premier plan la protagoniste.
Pour ceux qui ne connaîtrait pas l’histoire des Labdacides, voici un court résumé d’Antigone. Fille du héros Œdipe et de Jocaste (mère d’Œdipe et donc épouse incestueuse), Antigone est la quatrième de la fratrie. À la mort d’Œdipe, roi de Thèbes, ses deux frères Étéocle et Polynice décident de régner en alternance. La première année s’achève et Étéocle refuse de rendre le trône. Les deux frères s’entretuent. Créon, frère de Jocaste, est alors nommé roi. Il choisit de n’offrir de funérailles qu’à Étéocle. Le dissident Polynice est condamné à être exposé hors de Thèbes, et à nourrir les vautours. Quiconque tentera de lui offrir une sépulture sera exécuté. Ismène et Antigone, les deux filles d’Œdipe, pleurent leurs frères et Antigone décide de braver l’interdit.
Par deux fois, elle déjoue la surveillance des gardes pour recouvrir le corps de Polynice. Créon, ne souhaitant pas faire de favoritisme – Antigone est non seulement la fille d’Œdipe, sa nièce mais aussi la fiancée de son propre fils Hémon -, se voit contraint de la condamner à mort. Antigone a accepté cette issue tragique dès la mort de ses frères et l’attend sans ciller. Mais la mort de la jeune femme entraîne également celle d’Hémon et d’Eurydice – femme de Créon et mère d’Hémon. S’il a appliqué la loi sans faillir, Créon reste, tout comme Ismène, seul, désespéré et coupable.
Vous me dégoutez tous avec votre bonheur ! Avec votre vie qu’il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu’ils trouvent. Et cette petite chance pour tous les jours, si on n’est pas trop exigeant. Moi, je veux tout, tout de suite, et que ce soit entier ou alors je refuse ! Je ne veux pas être modeste, moi, et me contenter d’un petit morceau si j’ai été bien sage. Je veux être sûre de tout aujourd’hui et que cela soit aussi beau que quand j’étais petite ou mourir !
Les commentaires de texte, les analyses approfondies d’extraits, les mises en contexte pleuvent sur internet pour ceux qui souhaiteraient aller plus loin avant de se plonger dans le texte. Et pour cause : Antigone fait partie des ouvrages étudiés en fin de collège ou au début du lycée. Grand bien nous fasse. Introduction à la tragédie grecque, porte vers le théâtre, réflexion autour du contexte européen et sur le métatexte, figure de femme aux antipodes des stéréotypes classiques, Antigone porte tant en elle. Chaque personnage, leurs forces mais également les hésitations d’Ismène ouvrent le débat et amène chacun à multiplier les lectures du texte. Antigone d’Anouilh se lit, se relit, amène au texte de Sophocle, se voit et se relit encore et encore. Le regard du lecteur change, se tempère mais ne s’ennuie jamais.
Pour terminer, je ne peux que vous conseillez l’excellent podcast La vraie vie des héros de l’Antiquité, de Giulia Sissa, sur France Inter. Un épisode est d’ailleurs consacré à la famille des Labdacides.
La petite vermillon (Gallimard)
128 pages
Aurore