Indice des feux est un recueil de sept nouvelles qui, toutes, mettent savamment en scène un effondrement de l’humain en écho à l’effondrement de l’environnement – le végétal comme l’animal. Antoine Desjardins utilise ce parallèle pour que l’alarme qu’il tire sur la situation catastrophique de notre planète puisse résonner le plus fort et le plus profondément possible en nous. C’est parfaitement réussi.
Dans les faits, le recueil s’ouvre sur l’agonie d’un adolescent atteint d’un cancer aussi fulgurant qu’incurable. Il passe ses journées allongé sur son lit d’hôpital, dans une unité de soins où les chances de sortir vivant sont égales à zéro. Son seul lien avec le monde extérieur – en dehors des visites de ses parents éplorés – est un poste de radio qui, chaque jour, égrène les (mauvaises) nouvelles. Notamment la fonte à une vitesse vertigineuse de la banquise du Groenland. Le parallèle entre la situation critique de l’adolescent et la banquise qui se détache nous force à nous interroger : puisque l’un va mourir, pourquoi la situation de l’autre s’améliorerait ? Au dehors, la pluie martèle la vitre de sa chambre. Les inondations se multiplient à Montréal. La glace fondue est-elle déjà prête à tout engloutir ?
Une autre nouvelle, à la fin du recueil, utilise le même mécanisme : un vieil homme, qui a veillé toute sa vie sur un orme tricentenaire, s’apprête à quitter ce monde, et s’acharne à sauver son arbre qu’il pense atteint d’un champignon particulièrement coriace et meurtrier. Il ne le sait pas encore, mais son arbre est déjà malade. Et, tous deux, ils sont voués à mourir.
Le souci écologique traverse donc chacune des nouvelles. Et les sept nouvelles ressemblent à un moyen pour l’auteur d’alerter sur un danger immédiat pour l’avenir de l’humanité. Chaque nouvelle est un indice nous mettant face à la catastrophe, l’incendie à venir. La disparition progressive des baleines franches d’Amérique du Nord, à cause de la pêche intensive qui prive les baleines de nourriture – quand les baleines ne sont pas directement tuées par les bateaux de pêche. Les oiseaux migrateurs qui disparaissent à cause des insecticides et des changements météorologiques. Les décisions absurdes d’urbanistes davantage intéressés par le bitume que par la nature poussent les coyotes à investir les quartiers résidentiels de Montréal à la recherche de nourriture (il est à noter que l’auteur s’est renseigné sur ces évènements réels – l’invasion des coyotes en pleine ville, la mort de 17 baleines durant le seul été 2017 – donnant à ses nouvelles une dimension franchement glaçante car, alors, ce n’est plus de la fiction!). Chaque dérèglement est ausculté, comme pour prévenir la catastrophe.
Mais Antoine Desjardins ne tombe pas dans le piège du catalogage facile des menaces écologiques qui pèsent sur nos têtes. Car son propos porte également sur l’humain. Responsable de la dégradation de son environnement, mais aussi unique moyen pour que les choses s’améliorent. Deux nouvelles sont, à ce titre, plus optimistes que les autres. Notamment Feu doux, portrait fabuleux d’un jeune homme à travers les yeux de son grand frère. Louis, depuis tout petit, est considéré comme le génie de la famille, et ses parents formulent de grands espoirs pour lui. Mais Louis tourne le dos à cet avenir radieux tout tracé. Un temps avocat défenseur des grandes causes écologiques, il se rend compte que tout cela est vain, que les règles sont des leurres et que les dés sont pipés. Il veut aller plus loin, au cœur du combat. Ses parents pensent que Louis est devenu un hippie. Non, Louis se défait de toutes ses possessions et décide de vivre dans la sobriété. Il agit. Il ouvre la voie vers un autre vie possible.
Cette nouvelle bouleversante, au cœur du recueil, semble énoncer le propos véritable de l’auteur. Oui, le constat est alarmant. Oui, la planète est sur le point de s’effondrer. Mais alors, que fait-on ? Rester les bras baissés en pleurant sur notre sort, disant qu’il est trop tard ? Ou bien, comme Louis, on se retrousse les manches et on se bat ? Chacun, à son échelle, peut changer quelque chose.
C’est pour cela que Indice des feux est un recueil réussit. Il ouvre les yeux et met en garde. Mais aussi, il donne de la force pour éviter que la catastrophe annoncée ne se produise.
Alexandre
Indice des feux
Antoine Desjardins
La Peuplade
2021 – 344 pages