Maggie et Kurt forment un couple au quotidien trouble, d’où l’amour et la tendresse semblent s’être enfuis pour laisser place à la lourdeur des silences, à une routine recroquevillée et stérile. Cette dissonance constante sous fond de violences conjugales et de rêves brisés dérive sur un flot de ressentis rendus brumeux par l’alcool et les regrets. Le passé de Maggie reflue par bribes, comme à travers une vitre opaque. Le vagabondage, les viols, les insultes sont égrenés avec une sobriété frontale dont ressort une douloureuse rengaine faisant écho à la vie de bien des femmes.
Hanté par ses propres fantômes et remords, érodé par l’anxiété que fait peser sur lui son statut de patron, Kurt écoule ses soirées et une bonne partie de ses nuits accoudé au comptoir des bars ou bien titubant dans les rues de Nyborg. Un simple coup de téléphone fait définitivement basculer son existence et celle de Maggie, le jour où l’on de ses amis lui propose d’investir dans une compagnie de ferry low cost. Après tout, comme le dit si bien son interlocuteur « il a de l’argent à flamber », celui de la compagnie de bus qu’il a monté à la sueur de son front et fait proliférer au détriment de sa compagne et de leur fille.
“Il se trouve que les bénéfices de Kurt les entraînent, lui et Maggie, dans la série d’événements précédant l’incendie volontaire du navire.
Kurt investit ses économies dans la Vognmandsruten et perd tout rapidement, au profit de certains hommes bien plus aptes que lui à comprendre quelles actions il faut mener si on veut que l’argent rapporte gros.
En ce qui concerne Maggie, si l’incendie se propage en elle, c’est uniquement sous la forme d’un pressenti-ment. Elle meurt à l’hôpital d’Odense six mois seulement avant le départ du feu à bord.“
Au cœur De l’argent à flamber, premier volume d’une septologie, Asta Olivia Nordenhof revient sur la suite d’incendies déclenchés volontairement sur le ferry le Scandinavian Star et ayant fait 159 victimes à bord. Imbriquée l’une dans l’autre à la manière d’un enchevêtrement mêlant drame intérieur et catastrophe collective, l’histoire fictive de Maggie et Kurt entre en écho avec celle bien réelle d’une arnaque à l’assurance qui a mal tourné. En confrontant la rudesse d’une relation usée, enfermée et dépossédée d’éclat aux feux criminels allumés au profit de bénéfices, l’autrice dresse le portrait implacable et sans fard de notre société capitaliste.
Tour à tour lumineux et terrible, ce roman est porté par une découpe originale et audacieuse où Asta Olivia Nordenhof alterne entre la troisième et la première personne, faisant de nous les spectateurs d’un dérapage en chute libre, sans point de retour, pour ensuite nous plonger dans l’intimité rongée de ses protagonistes. Elle s’adresse à eux, les interroge. S’immisce, se glisse dans leur histoire. Cela leur apporte une profondeur émouvante, provoque un débordement de sincérité les rendant réels, palpables.
De l’argent à flamber ouvre le bal d’une série au magnétisme envoûtant, prenant comme point de départ un sinistre accident pour ensuite s’étendre par ricochet sur la ruine émotionnelle, l’amenuisement de l’âme.
“C’est quoi l’amour ? Maggie me regarde avec un visage pareil à une prière sans contenu. Comme s’il ne restait que la seule forme de la prière, un contour infernal.
Je ne sais pas, chère Maggie. Raconte, pour que je puisse l’écrire.“
Les Argonautes
Traduit du danois par Hélène Hervieu
190 pages
Caroline