Ne lisez pas cette chronique !
Elle peut vous tuer, ou du moins vous faire énormément de mal. Le langage tue. Cela a commencé avec les enfants juifs du Wisconsin qui faisaient souffrir leurs parents par la parole. Une verve assassine. Un simple bonjour pouvait faire tomber une mère ou un père. Puis la contamination s’est répandue dans les Etats-Unis. Samuel, sa femme Claire et la nouvellement contaminée Esther en font les frais. Une contamination qui a démarré en septembre chez eux. Ils furent obligés d’éviter Esther dans un premier temps, puis de fuir ses paroles dans un second. Vivre dans un mutisme total car même la parole de parents commençait à devenir du venin. Autre symptôme une étrange boule sous la langue qui, progressivement, vient à bloquer la parole.
Construit à la première personne, comme un ultime témoignage écrit du père (Samuel), « l’Alphabet de flammes » raconte ces terribles mois de souffrance et de quête désespérée pour trouver la voie de la guérison. Comment cette maladie vocale, qui par la suite s’étend à toute forme de communication, en particulier l’écriture, à pu arriver, se répandre et contaminer à un tel niveau la population. Juifs sylvestres de confession, Samuel et Claire cherchent même des réponses, surtout Samuel, dans la religion, dans leur cabane de rite où ils écoutent le rabbin Burke à travers une antique radio « juive ». Mais il paraitrait qu’un étrange roux dénommé Murphy puisse les aider…
« On partit un jour d’école, ne voulant pas qu’Esther nous voie. »
Le roman à travers le dilemme de la maladie pose une réelle problématique. Si notre enfant était la source de notre problème que ferions-nous ? Pouvons-nous l’abandonner ? Ou alors subir les supplices quotidiens par amour pour lui ? Et plus que la question du langage que soulève le roman, c’est ce point là que Ben Marcus soulève et avec lequel il nous titille pendant les 350 pages de « l’Alphabet de flammes ». L’écriture à la première personne renforce l’immersion dans ce monde nauséabond, en décomposition et nous plonge dans cette fuite pleine de regrets. L’ambiance est pesante. On imagine un univers de gris et de boue, une vie aux goûts et saveurs de cendres. Un monde qui est moite, lugubre et sans espoir. Mais le fait que ce récit soit le témoignage de Samuel nous pousse à espérer jusqu’à la fin et fait que ce roman devient vite addictif.
Ben Marcus fait partie de cette nouvelle vague d’auteur, avec Adam Novy (La cité des oiseaux, Edtions Inculte) et Hugh Howey (Silo, Actes Sud) qui sont en train de créer le renouveau littéraire américain. Explosant les codes, jouant souvent sur le fond et la forme, tout en recentrant l’écriture sur une histoire mi-fantastique, mi- apocalyptique mais à n’en pas douter hautement influencée par les contes et tragédies anciennes, cette nouvelle vague littéraire est des plus excitante. Dans la collection Lot49 chez le Cherche Midi était déjà paru en catimini un premier roman de Ben Marcus nommé « Le silence selon Jane Dark » qui a l’air d’être aussi bon que celui là. En tout cas il s’agit d’un premier gros coup de cœur pour moi sur les sorties de 2014.
Editions du Sous sol
350 pages
Ted