Libraire passionné, grand prêtre du Rock’n Read sur les réseaux sociaux Benoît Minville est aussi auteur de romans dits jeunesse/ados/jeunes adultes dans l’excellente collection Exprim’ des Éditions Sarbacane. Les Géants, son précédent livre, déjà un roman noir sur fond d’adolescence et de filiation. Une plume simple, un propos avec des principes, entier, intègre.
Avec Rural Noir, le voici à la Série Noire, avec un bouquin comme on imagine le bonhomme, généreux et refusant les clivages, soucieux de partager sa mentale sans juger ni faire la morale.
Le livre commence au passé, au seuil d’un été plein de promesses pour « le Gang », quatre ados de 14 ans, quatre amis inséparables dans leur petit village de la Nièvre. La douceur qui se dégage du prologue est lumineuse mais amère, l’auteur nous annonce tout de suite que tout va changer et surtout que « l’innocence serait fauchée durant cet été là ».
Voilà l’annonce d’un conte cruel qui se développe dans une alternance passé/présent très bien menée jusqu’à un dénouement doux-amer lui aussi. Linéaire et circulaire à la fois, le temps de ce roman parle de grands bouleversements et de ce qui reste immuable malgré tout.
Mais Rural noir c’est tout d’abord l’histoire d’un retour. Romain, le personnage central, revient auprès des siens après dix ans d’absence. Dix années de fuite pour le général du Gang, déserteur après la mort accidentelle de ses parents et sous le poids d’une écrasante culpabilité dont on découvrira les causes et les multiples conséquences au fil des pages.
Son petit pays a bien changé pendant son absence et se trouve à mille lieues d’une campagne rêvée et bucolique ou du romantisme supposé des grands espaces. L’auteur dresse avec talent le portrait d’une cambrousse triste, délaissée de tous, où l’on ne trouve plus de travail et où le seul repère que les habitants aient encore est celui d’être nés là.
Auprès de son frère et de sa compagne Julie, l’amie d’enfance et premier amour déçu, Romain va prendre la mesure de tout ce qu’il a laissé et le passé comme le présent vont le frapper de plein fouet. Vlad, le meilleur ami, a mal tourné et dirige le trafic de drogue local avec un drôle de gars, Cédric, celui qui avait perturbé l’équilibre du gang par l’attraction magnétique qu’il avait exercé sur Vlad ce fameux été.
L’ambivalence des sentiments est grande, pas question d’accepter les choix et les actes de leur ami mais le lien demeure, insécable. Aussi, quand il est retrouvé, laissé pour mort dans un pré, rien ne pourra empêcher les deux frères de s’impliquer dans l’affaire.
Tout au long du récit, le contraste est saisissant, entre l’été adolescent, ses espoirs, ses fièvres et ses désillusions et le froid du présent, où seules la volonté et la rage peuvent sauver du naufrage des hommes et des femmes à qui la vie a peu donné mais déjà beaucoup pris.
Roman sur l’adolescence et l’amitié, à la façon de Stephen King dans Le corps ou de Dan Simmons avec Nuit d’été, mais aussi sur la gravité des premiers vrais choix que l’on fait et qui peuvent marquer une vie entière. Il est aussi question du difficile passage à l’âge adulte, de la façon dont les hommes font face à leurs responsabilités.
Je dis bien les hommes car c’est d’eux qu’il s’agit. Les femmes ont un rôle important mais surtout symbolique dans le récit. Elles sont au cœur de l’intrigue mais très peu agissantes. Belles ou fragiles, elles incarnent une féminité peut-être trop sublimée mais sans être agaçantes.
Je disais tout à l’heure que tout avait changé cet été là mais ce n’est pas exact. La vie a porté des coups terribles, il y a des blessures qui ne se refermeront peut-être jamais complètement, mais Benoît Minville parvient à instiller un supplément d’âme à la noirceur ambiante, l’amitié, amour à la fidélité absolue, lien indéfectible qui unit les protagonistes de l’histoire.
L’empathie qui transpire de chaque ligne est celle de l’auteur tout autant que celle des personnages. Pas une once de cynisme dans ce roman noir éclairé. L’amour, aussi lucide soit-il, peut être tout ce qui reste quand on a tout perdu et les personnages n’ont pas l’intention d’y renoncer, car renoncer n’est pas une option.
La question de la ruralité en crise, loin des clichés et des idéalismes est traitée avec simplicité à la façon d’un témoignage qui nous serait offert par Chris, le potier-livreur de lien social à ses heures, Julie devenue infirmière et même Vlad, raconté par ses proches, qui participe à maintenir le village debout, à sa façon…
Si le roman noir est un humanisme par mauvais temps, Benoît Minville en est un valeureux membre d’équipage et je ne peux que lui souhaiter bon vent !
Editions Gallimard,
Collection Série noire,
236 pages,
Héloïse.
je voulais découvrir cet auteur voilà qui est fait de belle manière et hâte de lire les premières lignes ….. merci !
J’en suis ravie! Très bonne lecture!