Noir, rouge, vert, bleu: un Bic quatre couleurs comme seul et unique outil de travail, un étudiant désabusé et cynique comme protagoniste principal, voici les ingrédients dépouillés sélectionnés par Blaise Guinin pour un résultat plein de génie et de talent.
Un stylo, dernier vestige des années scolaires, fait peu à peu remonter à la surface des souvenirs, des amis et des actes commis et regrettés, le tout depuis longtemps étouffés dans les replis de la mémoire; ainsi commence l’histoire de Grégoire, portée par le rythme des couleurs du quotidien.
Tignasse sur les yeux et t-shirt à rayures rouges, Grégoire, étudiant en fac d’Histoire de l’Art, entame pour la deuxième fois consécutive son entrée en première année, au grand dam de ses parents qui décident de lui couper les vivres si il continue à ne fournir aucun effort.
Face à cette épée de Damoclès et ne souhaitant nullement forcer la cadence, le jeune homme décide de s’adresser à son ami Pierre, inscrit en cours de Géographie, pour un échange d’identité; chacun prendra la place de l’autre pour assister et passer les matières où il est à l’aise afin de valider son année.
Une magouille de jeunesse blasée qui s’ennuie, un simple mensonge qui va bientôt prendre une proportion plus complexe lorsque Chloé De Jais, jolie brunette aux traits noirs qui n’est autre que l’ex du jeune fraudeur, arrive en cour et reconnait celui qui l’a lâchement abandonnée quelques années auparavant.
Au fil des chapitres courts, chacun débutant sur un détail et son rapport à une couleur, les mensonges s’enchainent, s’entremêlent et les personnages s’embourbent lentement dans la toile de duperies qu’ils se sont eux-même tissée, entrainant dans leur ronde deux filles innocentes; Chloé et Mathilde, la petite amie de Pierre, qu’elle connait seulement sous sa fausse identité.
Quatre couleurs, quatre personnages principaux, mais aussi quatre femmes, chacune dessinée avec une teinte qui lui est propre. Noir pour la triste Chloé, Rouge pour la flamboyante Mathilde, Bleu pour l’inconnue de la bibliothèque et Vert pour la plantureuse prof d’Histoire de l’Art.
Les filles sont d’ailleurs omniprésentes. Elle dansent tout au long du récit. L’imagination de Grégoire vagabonde et s’embrase au simple contact visuel d’une chevelure Rouge, du Vert d’une monture de lunettes, d’un bout de tissu Bleu, bleu d’encre et bleu Klein. Les corps nus prennent lascivement la pose, et on reconnait alors la Vénus de Botticelli ou encore une danseuse de Lautrec. Clins d’oeils et références qui ponctuent Quatre Couleur de manière intelligente et parfois imperceptible, entrainant le lecteur dans la spirale maladive du jeune homme obsédé par le sexe.
Le trait de Blaise Guinin est un réel plaisir pour les yeux; fluide, épuré mais vivant et d’autant plus impressionnant qu’il communique de véritables états d’âmes grâce à un simple Bic. Au fil des cases les personnages prennent de la profondeur; Pierre avec ses touches de vert, couleur de la sagesse, reste posé, sérieux et tente de demeurer sincère aussi bien dans ses études qu’en amour. Chloé incarne la détresse, la passion aveugle et l’oubli de soi, quand à Grégoire il reste fidèle à lui-même; cynique et égoïste, il n’a aucun remord à se servir de ses camarades et de ses amis pour arriver à ses fins.
Le jeune auteur ne se contente pas de simplement exploiter une idée déjà brillante, mais va bien au-delà en illustrant le quotidien d’une génération désabusée et perdue, poussant le vice du je-m’en-foutisme jusqu’à la tragédie, où chaque teinte est un trait de caractère personnifié, où chaque détail a son importance.
Une histoire sans prétention aux premiers abords, portée à bout de mine quadricolore par un artiste à suivre de prêt. Quatre Couleur est un petit trésor de bd indépendante à savourer sans demi-teinte.
J’étais passée à côté de ce bijou ! Je rejoins ton avis, et derrière ces rayures bariolées au 4 couleurs, c’est vrai qu’il y a cette génération désabusée jusqu’au tragique…