La toute nouvelle collection Adynata du Peuple de Mu entend nous faire découvrir des
textes sortants des sentiers battus, tant sur la forme que le fond. Et le premier opus, en
charge d’assumer ce lourd poids de maître-étalon pour l’ensemble de la collection, est un
recueil de nouvelles de Sonia Quémener. Les lecteurs de Fiction auront eu l’occasion de
voir passer son nom dans certains numéros, et la dame donne aussi dans la traduction
(et pas n’importe laquelle, on trouve à son tableau de chasse du Lovecraft ou du Ian M.
Banks par exemple).
Autant le dire de suite, le reste de la collection a intérêt à s’accrocher, car Sonia
Quémener ne rigole pas! Prenant le temps et l’espace comme terrain de jeu, elle nous
propose tant de courts textes dans lesquels elle sait ménager son effet de surprise et
provoque, selon ses désirs, le rire ou un sentiment pinçant et ténu d’angoisse, et tant des
récits plus longs, qui prennent le temps de s’installer, de se développer sous nos yeux
pour nous mener par le bout du nez.
La première nouvelle donne le ton, ce Château Descartes qui déplie en fractale le
fameux « je pense donc je suis », et nous met dans le bain pour la suite: l’ambiance sera
folle, drôle et dérangeante. Des nouvelles farfelues, il y en a, comme celle qui nous
raconte ce bien étrange tournoi , dont on ne révèlera pas la teneur, qui donnera au
vainqueur les terres du vaincu.
Des qui dérangent, le recueil en déborde. Que ce soit cette fresque découverte au fond
d’une grotte et qui convoque une histoire des arts anachronique aux mains de
Néanderthal qui n’ont rien à en faire ; cette habitude de riches gros qui s’envoient en l’air
en orbite autour de la Terre, bientôt repris par la pénitentiaire qui transforme les
prisonniers orbitaux en lunes rondes et blanches par gavage. La principale nouvelle du
recueil (j’entends par là la plus longue), elle, nous met devant un monde où le genre
sexué a disparu. La reproduction sexuée aussi. Au-delà de l’histoire fichtrement bien
tournée de cette société neutre qui veut éradiquer le genre et dont les membres sexués
entrent en résistance, le langage inventé par Sonia Quémener pour nous immerger dans
ce monde est véritablement impressionnant. La dernière nouvelle, elle, montre toute la
poésie et l’onirisme dont est capable l’auteur, avec ce ballet interstellaire lent et
intemporel.
Je ne risquerai pas de me lancer plus avant dans le résumé (périlleux) des nombreuses
nouvelles qui composent ce recueil, mais te guettent entre autres, lectrices, lecteurs, des
habitudes photographiques énervantes, du temps figé, des planètes rassembleuses, une
maladie qui rend un peu raplapla, et un immense hommage à Chuck Norris.
Complet et diversifié, ce recueil tourne autour d’une idée centrale, qui est, comme son
titre l’indique, cette illusion du contrôle. Car chaque protagoniste se retrouve confronté
consciemment ou non, à ce moment où l’on sent que quelque chose nous échappe, et
que le cours de notre vie, voire du monde, et qui sait, plus grand encore, nous est
complètement étranger et qu’il ne peut y avoir aucune prise dessus. Fruit du hasard,
nécessité biologique ou encore réalité virtuelle, toutes les possibilités, et bien plus
encore, sont explorées dans ces nouvelles, et arrivent à la même conclusion : cette
impression de contrôle ne sert bien sans doute qu’à nous rassurer, et peut-être à nous
détourner d’une réalité trop angoissante pour être acceptée.
Un recueil complètement fou, rempli de bonnes idées et d’histoires passionnantes et
originales, le tout raconté avec une plume inventive et surprenante. Une belle découverte
qui va me faire ressortir mes vieux Fiction pour lire et relire d’autres nouvelles de Sonia
Quémener.
Marcelline