En France, nous avons découvert Boris Quercia grâce aux éditions Asphalte, et sa série de romans policiers. Ainsi, était apparue la trilogie Santiago Quinones – respectivement, «Les rue de Santiago » ( 2014), « Tant de chiens » (2015) & « La légende de Santiago » ( 2018). Une trilogie efficace, bien écrite, travaillant sur l’ambiance. Un romancier qui semblait dès lors, au travers des codes propres au genre, vouloir apporter une couleur, une ambiance, un univers chilien.
C’est qu’il faut bien l’avouer. Boris Quercia n’en est pas à son coup d’essai. Et pour les plus cinéphiles d’entre vous, vous aurez fait le rapprochement de patronyme de suite. Boris Quercia est acteur, réalisateur, scénariste et producteur, et a su s’imposer dans le milieu du cinéma chilien et sud américain dès 1993.
Ainsi, c’est aussi peu surprenant, même plutôt enthousiasmant de découvrir le dernier roman de monsieur, et de s’apercevoir que cet inlassable explorateur artistique, se lance dans la science-fiction avec « les rêves qui nous restent ».
Dans une mégapole tentaculaire, La City, nous rencontrons Natalio, un flic de classe 5 (comprendre ici, le rang veut dire qu’il fait la basse besogne, le sale boulot). Son job ? Éliminer les dissidents, ceux qui font tâche dans La City, ou qui ne cadre pas avec cette ville cyberpunk, où les industries sont reines et la vie une marchandise comme une autre. Mais il ne faut jamais que la police soit entachée par ce « nettoyage », elle a une image à défendre. Ainsi, entre deux missions, Natalio se retrouve au chômage, le temps que l’enquête classe l’histoire sans suite, et surtout que ça n’engendre pas d’émeute ou fasse de vague médiatique. Se fonctionne, rendant économiquement instable Natalio l’oblige entre deux missions policières à faire des extras pour des sociétés privées.
Lors de sa dernière mission, en tant que Classe 5, Natalio a perdu son électroquant, lorsque un dissident leur jeta une bombe. Ce qui pousse ce policier à se procurer un nouveau compagnon androïde. Mais étant fauché, il va pousser la porte d’ un soldeur pour en acheter un d’occasion. Une machine qui semble fonctionner, mais qui présente par moment quelques anomalies minimes, ainsi qu’un mystérieux trou derrière l’oreille.
Ce nouveau binôme va se retrouver embauché par une société privée ( la plus importante de La City), pour mener une enquête, afin de trouver un potentiel saboteur. Mais comme vous devez vous en douter, rien ne va se passer comme prévu.
Autant le dire de suite, « Les rêves qui nous restent » est un excellent roman. Avec son côté punk et pulp à la fois, l’auteur propose un roman de science-fiction dans l’esprit de Philip K Dick. Son univers est intéressant, et propose une lecture pertinente des dérives de notre société, où le consumérisme pousse à marchander jusqu’à son ADN. Notre rapport aux machines et aux IA est également interrogé, quant à nos rapports humains, ici aussi, ils sont minutieusement auscultés.
Ce qui donne cette effet ramassé et abondant à la fois et propose un court roman de SF ultra efficace et vraiment bien ficelé.
Au travers de l’histoire de Natalio et, en particulier, dans son rapport à son électroquant, Boris Quercia, aborde en filigrane, la fameuse question de l’humanité. Ainsi, tout le long du roman, nous sentons que l’auteur cherche à comprendre ce qui caractérise biologiquement, intellectuellement et sociologiquement les éléments déterminants qui font qu’un humain n’est pas une machine. Et cette réflexion est d’autant plus pertinente, alors que le livre de Boris Quercia évolue très clairement dans un univers déshumanisé au possible, et en totale roue libre sur les rapports humains.
Comme un écho à cette première, se pose cette seconde : Les machines, peuvent-elles être des humains ? Car avec des électroquants aussi développés, la question se pose. Et l’auteur nous la pose. En nous plongeant dans la tête de l’électroquant, Boris Quercia développe tout un parallèle fascinant sur la « psyché » de la machine et son évolution, et notamment ce que ses « anomalies » veulent dire d’elle.
« Les rêves qui nous restent », sans vouloir révolutionner le genre, n’en reste pas moins un excellent roman, court, efficace, bien écrit et qui propose une grille de lecture intéressante de nos dérives sociétales, mais aussi celle du marché et du progrès. Entre Polar Pulp et Science Fiction à la K Dick, sa première incursion dans le genre de la SF est une réussite, et appelle d’autres romans de l’auteur dans ce genre.
Éditions Pocket,
Trad. Isabel Siklodi & Gilles Marie,
206 pages,
Ted.