Un dernier livre avant la fin du monde WebZine Littéraire
Parfois, on a tellement l’habitude de prendre la voie rapide que l’on en oublie l’importance des jolis détours: on s’envoie des messages à tout va, on oublie notre répertoire, on oubli de répondre et on met de côté les petites voix qui roulent dans nos têtes. Prendre le Boulevard des SMS c’est s’interroger sur notre société actuelle et la place que l’on accorde à l’Humanité: la notre et celle des autres. Deux promeneurs y rodent, deux personnalités à part: Brigitte Fontaine et Alfred.
Elle, grande dame farfelue aux chansons perchées a pour habitude de jeter sur papier les phrases qui se bousculent dans sa tête. Terreau pour ses chansons, ses romans et ses pièces de théâtre, elles abordent tous les thèmes à grand renfort d’envolées mystiques et forment un délicat capharnaüm.
Lui, dessinateur de talent (Come Prima) a vu de son côté son enfance bercée par la chanson Il Pleut. Au fil du temps, la voix et les mots de Brigitte Fontaine vont devenir importants et même nécessaires au dessinateur, qui découvre la poésie à travers ses couplets.
Voilà que quelques années plus tard, les deux artistes se rencontrent et décident de créer un objet commun où lettres et traits se complètent; c’est Boulevard des SMS.
Petit album tout blanc, où les proses défilent sans artifices, mises en images par le crayon d’Alfred. Phrases courtes, cinglantes et pleines d’étreintes, listes caractérielles, exclamations intérieures qui dansent au fil des pages, ce livre est un accès direct aux pensées intérieures de Brigitte Fontaine.
Traitant de tout et de rien avec la même magie étrange et la même énergie brute et froissée qu’elle inculque à ses chansons, elle saute du coq à l’âne et aborde des thématiques sensibles et universelles. Vie, mort, religion, coup de blues, coup de coeur, c’est un jeu de passe qui est mis en place dans Boulevard des SMS, une sorte de Kamoulox entre plusieurs états d’âme. Alfred renvoie la balle avec son génie habituel, car plutôt que de se contenter de se plier uniquement au texte à travers des illustrations bêtes et méchantes, il en nous livre sa perception propre.
A la manière de tout ce qui défile en nous-même à l’écoute d’une musique ou d’une chanson, les couleurs, le rythme et les images qui s’enchainent dans notre esprit et pas dans celui du voisin, il dessine son ressenti grâce à son coup de crayon épuré et efficace. Son trait fin et souple apporte une seconde lecture aux mots de la chanteuse; sinusoïdales à l’encre, crayon de couleur carmin et visages aux expressions prenantes illustrent à la perfection les courts paragraphes.
Boulevard des SMS porte à merveille son nom, c’est une voie urbaine moderne qui pianote à coup d’uppercut ses réflexions quotidienne. Ici, les phrases dématérialisées que l’on ne prend plus la peine d’écrire sur papier, ces rengaines qui tournent et tournent encore dans nos matières grises sont jetées avec une spontanéité impactante. Brigitte Fontaine et Alfred nous prouvent par cette rencontre du phrasé et du dessin l’importance qu’on ces choses qui trottent en nous et la nécessité de prendre le temps de les mettre à plat, dans ce livre à la fois simple et beau, qui a la particularité d’avoir un côté thérapeutique. Un peu borderline sur la tranche, un peu cru aux coins des pages, un peu ironique entre les lignes mais toujours plein de poésie, il fallait décidément que ces deux là se rencontrent et fassent un bout de chemin ensemble, un bout de chemin le long d’un boulevard hors du temps.
Editions Casterman
91 pages
Caroline
