Publié à titre posthume aux éditions Les Allusifs, Si c’est ça l’amour de Bronwen Wallace est un recueil de nouvelles qui nous parle des femmes à travers leurs pensées intimes, d’une façon qui transcende par sa simplicité et son humanité. Onze nouvelles, onze quotidiens, onze consciences qui se déversent le long de la lecture comme un flux continue de monologues internes: on y voit des personnages qui luttent, au bord de cette implosion que chaque être humain a déjà connu. Cette légère faille qui grandit peu à peu, d’abord de manière imperceptible puis qui ce fait de plus en plus ressentir, à la manière d’une fissure qui se forme sur la glace.
Il faut dire que Bronwen Wallace oriente tout ce roman sur la surface cachée de cet iceberg émotionnel. Mettant en scène des protagonistes féminines plus ou moins fortes et puissantes, elle écrit un recueil résolument féministe mais avec un style aéré et discret, ne montant jamais au front, imposant plutôt de manière fine une lutte qui pourrait paraitre anodine à première vue.
“C’était une grosse femme blonde qui parlait beaucoup de perdre du poids, mais qui ne perdit jamais une once de tout le temps où je la connus. Je ne pouvais pas l’imaginer mince -, pas davantage que je ne pouvais l’imaginer jolie au sens où les femmes qu’on voit dans les magazines peuvent être jolies. Son nez était trop gros, ses yeux trop rapprochés, sa bouche de guingois. Mais Stella était belle. Déjà à cette époque je savais que sa beauté tenait à ce qu’on appelle le style.”
Dans Si c’est ça l’amour, on assiste à des actions souvent considérées comme anodines; une tâche ménagère, une scène de maternité, la préparation d’un repas. Et pourtant tout cela explose et touche grâce à la tendresse palpable que l’écrivaine ontarienne porte à ses personnages. Jonglant avec le réel et l’imaginaire, le présent et le souvenir, l’humour et la peine, elle parle de la femme à travers ses âges forts: la fillette, l’adolescente, la femme, la mère, la personne âgée. La famille est également le fil rouge : parents, conjoint, enfant, ex: que ce soit des rescapées d’un divorce, d’une fausse-couche ou bien simplement des réchappées d’un quotidien qui les rongent, toutes orientent leurs forces sur leurs entourages respectifs, gardant la tête haute pour elle-même mais aussi pour les autres.
“Oui, les mots sont bien là, elle les a bel et bien écrits. Qu’avait-elle à l’esprit? Je ressens au creux de mon estomac ce que je voudrais tant que ces phrases signifient. Et je vais rester là longtemps, à les ruminer. A cogiter au sujet des blagues de famille. Des codes familiaux. De tout ce bazar qui me relie à eux, mon père, ma mère, Jill. A méditer sur l’impossibilité de cesser d’être moi.
Et sur combien j’ai peur même de cette petite offrande, si c’est bien de cela qu’il s’agit. Un signe de reconnaissance, peut-être, ou même d’excuse.”
La force de Bronwen Wallace ici, c’est qu’elle ne pose pas de contexte réducteur, elle ne juge pas les actrices de ses onze nouvelles. Elle expose les faits tels qu’ils sont, qu’ils soient beaux ou laids. Ainsi, la chanson des réflexions s’achemine: on arrive au milieu d’une action en train de se dérouler, d’un bout de vie et l’on prend le train en marche. Pas de phrase ampoulée, prétentieuse mais beaucoup de silences retranscrits avec brio par le traducteur René-Daniel Dubois. Ces souffles et soupirs sous-entendus avec délicatesse sont autant de messages qui viennent ponctuer le soucis du détail dont fait preuve l’auteur.
Un seul et unique regret suite à la découverte de Si c’est ça l’amour, que Bronwen Wallace soit partie bien trop tôt, car son regard plein de tendresse et de pureté est semblable à une oasis littéraire.
“Parce que… qui sait ce qui pourrait se produire à l’instant, même dans une si bonne vie. Dans cinq minutes, par exemple, Jason va revenir en voiture du centre commercial où il a décroché un boulot à temps partiel chez Music World, et il va foncer à prendre sa copine Karen. Au même moment, dans un appart, tout près, un mec descend de sa dernière bière, et saute dans la sienne, de voiture, pour allaient acheter d’autres avant l’arrivée des copains. Deux bagnoles, toutes les deux conduites par de grands ados, se ruent l’une vers l’autre, comme deux échos sonar sur la grande mappemonde des probabilités, comme des cellules qui ont perdu la boussole. En cet instant même, la mort de Marion égrène son compte à rebours, dans ses cellules à elle, comme elle le fait dans les cellules de tous et de chacun. Tout peut arriver, à tout moment.”
Editions Les Allusifs
256 pages
Caroline