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Carpes

Le bureau des jardins et des étangs – Didier Decoin

Douze ans pour matérialiser ces effluves, douze ans pour écrire ce roman du bureau. Didier Decoin – de l’académie Goncourt comme c’est précisé sur la couverture – est un écrivain prolifique, qui publie régulièrement romans et essais. Qu’il s’attarde douze ans sur ce texte peut alors sembler étrange, mais est à la hauteur de lecture.

Japon, XIIe siècle. Katsuro se noie bêtement, sous le regard indifférent d’un héron. L’annonce de son décès plonge Miyuki, sa veuve, dans un brouillard sensoriel. Pourtant, elle ne peut s’adonner au deuil, devant assurer le devoir de son mari : pêcheur de carpes, fournisseur du Bureau des Jardins et des Etangs. Depuis des années, il sélectionne méticuleusement des carpes koï aux écailles soyeuses et motifs réguliers, les prépare pour le long voyage menant à la cité impériale, les veille sur le chemin pour enfin les relâcher dans les étangs de l’Empereur dans des conditions optimales. Une dévotion qui a toujours forcé l’admiration de Miyuki.

Depuis la mort de Katsuro, la jeune femme vivait dans un brouillard qui assourdissait les sons, détrempait les couleurs. Mais elle pressentait que cette opacité se déchirerait dès qu’elle prendrait la route…

Chargée d’une palanche à deux nasses, elle entreprend le chemin périlleux jusqu’à Heiankyo, un pèlerinage autour du souvenir de son mari et de l’amour qu’elle lui porte. Auberges de passe, temple faussement accueillant, sous-bois humides ou encore barques de maquerelle, Miyuki va découvrir que le monde n’a rien de commun avec la vie qu’elle menait. Quand, enfin, elle arrive à Heiankyo, Miyuki indispose Nagusa-sensei, le directeur du Bureau des Jardins et des Etangs. Celui-ci, sourcils dessinés en vert de jade et dents laquées noires, ne s’accommode pas de l’odeur de Miyuki. Mais quand l’Empereur lui-même décide du thème du concours de parfum, un défi insurmontable, Nagusa-sensei pourrait bien s’intéresser de plus près à Miyuki.

Elle embaume – ou empeste, je ne suis pas encore décidé – quelque chose de sauvage, un relent de forêt, d’herbes froissées, de terre détrempée, de tanière.

Fresque du Japon des oubliés du XIIe siècle, conte initiatique, roman d’amour, et surtout ode olfactive, Didier Decoin réussit avec ce livre à nous fasciner. Le récit est parfois étrange mais l’univers est si riche de sensations, de sensualité, qu’on est emporté. On découvre la complexité des codes culturels japonais au Moyen-Âge, une ère bien plus raffinée qu’en Europe, où beauté et raffinement règnent en maîtres. Tout au long des 400 pages de ce Bureau, on saisit l’importance et la délicatesse d’un des piliers de la culture nippone, l’impermanence, pourtant si complexe à définir. Dans le souvenir de Katsuro qui n’est plus, dans les réminiscences qu’une effluve soulève, dans la perspective d’une mort certaine, tout n’est qu’ode à la fugacité. Tout cela valait bien douze ans de recherche et d’écriture.

couvertureEditions Stock,
396 pages,
Aurore

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