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Camila Sosa Villada – Les Vilaines

Córdoba, Argentine. Au cours d’une nuit de passe, une bande d’amies tombent sur un bébé abandonné dans le parc de Sarmiento. Suite à cette découverte, elles décideront de l’adopter clandestinement et de l’appeler Éclats des yeux. L’enfant ira vivre chez Tante Encarna, la pension qui est le paradis des tantouzes. Le développement de l’enfant servira de repère temporel au récit, raconté à la première personne sous l’œil avisé d’une des prostituées transgenres qui constitueront sa cellule familiale.

Les Vilaines de Camila Sosa Villada, est un livre qui rappelle l’importance de la narration des existences queers et particulièrement celle des vécus trans. Si l’adoption d’Éclats des yeux sert de début et de fin au récit, celui-ci est rempli d’histoires dans l’histoire. L’enfance et l’adolescence de la narratrice, les vies de ses copines et tous les aspects de la condition d’une pute trans en Argentine. Ici, on est loin des histoires d’amour dépolitisées entre deux mecs blancs de trente ans qui découvrent leur homosexualité et qui luttent contre leur désir. La douleur d’être lgbtq+ n’est pas une fêlure intrinsèque à cette identité, c’est le résultat d’une violence sociétale et systémique. Et la violence est racontée frontalement, comme lorsqu’on se la prends en rentrant du taff, de soirée, en se promenant dans la rue. Cette violence c’est celle du père absent et agressif qui n’acceptera jamais un fils pédé et encore moins une fille trans. Celle qui impliquera de grandir seule dans la campagne rocailleuse et de voler les robes de sa mère. Celle qui fera foirer les études, se rapprocher trop près trop vite de la drogue et du travail du sexe. Mais c’est aussi celle qui fait naître la joie d’être en ce monde et de malgré tout y survivre.

Le livre est porté par une écriture lumineuse, vivante. Chaque mot de l’autrice est une palpitation qui nous donne l’impression de faire partit du récit. La langue est en feu et elle est contagieuse : on a l’impression d’être avec nos copines et d’entendre les talons claqués sur la route à trois heure du matin. Les phrases sont précises et ciselées et dépeignent avec justesse la difficulté du quotidien. Elles mettent encore plus en valeur la galerie de personnage excentriques et perdues auxquelles rends hommage l’autrice. Et c’est un plaisir de les rencontrer mais également une douleur sourde de les voir évoluer dans une société qui n’a cessé de les rejeter. Le récit prends alors un coté manifeste sur la condition trans en Argentine, ce qui est une chose essentielle.

A seize ans, elle s’est enfuie d’une maison de correction en passant par les toits tel un démon ahuri, puis, par instinct était devenue prostituée. A vingt-et-un an elle avait criblé de balles les testicules de son ex, qui était aussi son mac, puis avais assommé sa belle-mère à coups de poings. Plus d’une fois, elle avait été tentée par le suicide, dans l’une de ces occasions, il lui était même arrivé de voir la lumière blanche au bout du tunnel. Mais elle était toujours là, avec nous, les cheveux piqués de brins d’herbe qui, derrière son vélo, flottaient dans l’herbe comme des grillons.

Mais, l’histoire vient de temps en temps nous surprendre avec une petite dose de fantastique. Celui-ci s’imbrique parfaitement avec le reste et montre le talent d’écriture de Camilla Sosa Villada qui utilise le genre à très bon escient. Une fille couche avec un homme sans tête, une autre se transforme petit à petit en oiseau. Ces éléments font écho aux thématiques principales du livre, l’autrice créer ici sa propre mythologie. Par exemple, il est aisé de faire un lien entre une transformation et une transition. Ces allusions viennent adoucir la frontalité et la dureté de la narration. Cela en y ajoutant une touche de poésie qui apporte un aspect mélancolique au récit.

On peut ajouter que l’autrice est une femme transgenre, née à La Falda en Argentine et qui a elle-même été travailleuse du sexe. Bien que Les Vilaines ne soit pas une autobiographie, cela rends le livre d’autant plus important du fait qu’il ait été écrit par une personne concernée. Ainsi, on ne sombre ni dans le misérabilisme ni dans un fétichisme voyeur et malvenu. S’offre à nous une œuvre littéraire sensible et touchante qui porte son histoire avec une force et une rage incroyable.

Camilla Sosa Villada, Les Vilaines

Métailié 

Traduit de l’espagnol par Laura Alcoba

203 pages 

Andy

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