Camille Toffoli est cofondatrice de l’Euguélionne, librairie féministe à Montréal, et chroniqueuse. Pour Filles corsaires, les éditions du Remue-Ménage ont compilé des textes écrits entre 2017 et 2020 pour la revue Liberté. Ils ont été un peu remaniés pour l’occasion et l’autrice leur a ajouté deux inédits. En quatorze brefs essais, Camille Toffoli décline son raisonnement autour des thèmes du féminisme à travers le prisme des conditions sociales.
Filles corsaires ce sont d’abord des expériences vécues par Camille Toffoli. Des souvenirs de sa vie d’étudiante ou des problèmes rencontrés dans les milieux militants. Se sont aussi ses craintes alors qu’elle voyage seule, ou ses observations sur les serveuses des diners où elle se réfugie au terme de nuits d’insomnie. Elle nous confie enfin, avec une réelle bienveillance, des rencontres inattendues et son attachement aux fans de Dolly Parton et aux vieux bars à karaoké.
La force de son écriture tient finalement à cela : ses textes sont éminemment personnels. Écrits à la première personne, ils appellent à prendre du recul par rapport aux textes universitaires ou aux best seller du féminisme. Si elle met en avant ses lectures (pas moins de quarante et une références), c’est pour tisser des passerelles sensibles entre celles-ci et ses propres réflexions.
J’ai vieilli en cumulant les compulsions, les complexes et les lendemains de veille, et en entretenant une culpabilité diffuse : celle de ne pas être la guerrière amazone qu’on m’a si souvent servie en exemple, la femme indépendante dans laquelle on reconnaît une réalisation du féminisme.
Camille Toffoli dresse également une série de portraits de femmes. Des serveuses qui la fascinent, son ex belle-mère vraiment attachante, des femmes à la tristesse politique et assumée, des lesbiennes radicales ou des championnes de barrel racing. Ce faisant, elle décale son point de vue par rapport à un féminisme « théorique » alimenté par la recherche universitaire. Elle apporte une réflexion subtile qui interroge sur les rapports de classes et de pouvoir.
Quand on dénonce le sexisme, n’est-ce pas souvent en stigmatisant une seule catégorie sociale de la population ? Les compétitrices de rodéo aux attributs féminins tapageurs n’ont elles vraiment rien à nous apprendre sur le féminisme ? Qu’en est il des attentions surannées d’une femme dévouée au bien-être de ceux qu’elle accueille sous son toit ? Ne rendent elle pas sa maison plus accueillante que certains endroits queer à la mode dont les codes culturels restent inaccessibles ?
L’ambiance qui y règne a quelque chose de réactionnaire, pourtant je suis convaincue que s’y déploient des formes d’émancipation que bien des grilles d’analyse féministes ne permettent pas d’appréhender.
Avec Filles corsaires, Camille Toffoli nous livre, de façon sensible, sa pensée en construction. Elle propose une remise en question des théories féministes, et incarne un renouveau réjouissant. Ses références à d’autres écrits ouvre, de plus, un vaste champ d’exploration pour la lectrice et le lecteur curieux. Enfin, les expériences très personnelles qu’elle rapporte ici invitent chacune et chacun à reconsidérer le bien-fondé d’agir et penser en tant que groupe. Il s’agirait de ne plus noyer dans un « nous » collectif les souffrances particulières.
Les insignifiantes et les radicales, toutes celles qui restent hors des panels d’études de genre trouveront un air familier dans cette galerie de portraits. Toutes ces femmes que nous n’aurions peut-être jamais rencontrées sans Filles corsaires.
Recueil paru le 28 janvier 2022
aux éditions du Remue-Ménage,
en coédition avec la revue Liberté.
Postface de Marie-Andrée Bergeron.
120 pages
amélie