Un roman de science-fiction écrit par une femme et qui n’aura pas été popularisé en France durant son vivant. Une autrice énigmatique, qui aura eu une courte carrière, mais qui fut remarquée par certains grands noms de la SF telle qu’Ursula Le Guin qui disait d’elle qu’il s’agissait d’une des voix le plus fortes, les plus complexes, les plus résolument féministes dans le domaine de la fiction ! Aujourd’hui, nous nous intéressons à La Monture de Carol Emshwiller.
Carol Emshwiller eut une carrière discrète. Comptant quatre romans et une quinzaine de nouvelles, l’autrice eu surtout un succès d’estime de ses confrères et de ses pairs sans jamais réellement rencontrer le succès publique de son vivant. En France, à ce jour, seul ses nouvelles furent traduites chez Opta éditions, J’ai Lu, Gallimard ou encore les Moutons Électriques, sans jamais provoquer une reconnaissance folle. Mais ce qui aurait dû être un.e énième auteurice à tomber dans l’oubli, va connaître un sort tout autre en 2021 avec l’édition d’un de ses quatre romans par la toute jeune maison ARGYLL.
La monture impressionne autant par sa discrète réputation que par son prix Philip K. Dick, ou encore la reconnaissance de l’oeuvre par la critique, qualifiant l’oeuvre d’immensément poétique ou d’une conception brillamment douloureuse quant au traitement du rapport entre l’homme et l’animal, entre le dominant et le dominé, entre le servant et le servi. Cette aura, entourant le roman de Carol Emshwiller, ne fait que se renforcer à la lecture du résumé.
Pour la faire simple, sur notre Terre dans un avenir plus ou moins lointain, une race extraterrestre est venu coloniser la planète et par extension « dompter » les humains. Petit humanoïde aux mains puissantes et aux grandes oreilles, les Hoots ne sont pas adaptés à notre environnement et ne peuvent pas marcher avec leurs petites jambes. C’est pourquoi, les Hoots se sont mis à parquer, puis dompter, les humains aux meilleurs pédigrés pour en faire de parfaites montures. Deux races se distinguent, les Seattles, robustes et puissants, des humains de monture élégante et mettant parfaitement les Hoots en valeur, puis les Tennessees, plus élancés et plus endurants et rapides.
Dans cet univers, nous suivons le tout jeune Charley, un Seattle destiné à être monté par un jeune Hoot, futur leader du peuple.
La monture, disons le de suite, est une merveille d’une dureté redoutable. Sans jamais être manichéen, le récit s’emploi, à travers chaque scène à nous questionner sur nos rapports au vivant et à l’autre, sur notre définitions de l’animal de compagnie, ou encore vient ausculter ce qui fut nos années sombres de l’esclavagisme de peuples au profit de puissants colonisateurs.
Car l’intrigue aussi dérangeante soit-elle au départ, n’en demeure pas moins un cheminement philosophique et sociologique sur les différences et ce qui fait que telle espèce peut s’octroyer le pouvoir plus qu’une autre, s’autorisant invariablement à être juge et bourreau en s’imaginant supérieure au dominé.
Mais La Monture n’en n’oublie pas moins d’être une œuvre de fiction, et à travers le cheminement du héros, l’autrice sait nous promener dans cet univers, nous proposer des situations épiques ou encore nous faire vivre une aventure unique grâce à son écriture d’une fausse simplicité et d’une poésie élégante et discrète. Ici, tout est fluide, coule, le style permet de se plonger dans l’œuvre et de nous laisser porter.
Le roman est court, mais a tous les atours d’une grande œuvre, tout comme le « Nom du monde est foret » d’ Ursula K Le Guin, ce récit mérite totalement votre intérêt. Argyll éditions a eu le nez fin en publiant ce texte brillant, faussement simple et venant nous bousculer sur notre perception du vivant et des autres. Une pépite à mettre entre toutes les mains !
Argyll éditions,
Trad. Patrick Dechesne,
220 pages,
Ted.