Après Changer d’air en 2015, Marion Guillot récidive dans son observation précise de l’ennui. C’est moi, roman noir, roman gris, déroule tranquillement le fil des événements qui rythme la vie de la narratrice. Le compte-à-rebours d’un drame annoncé et assumé.
” Fais-moi penser d’apporter une corde demain”
En attendant Godot, Samuel Beckett
Tout commence par l’annonce de la mort de Charlin. Suicide. Son meilleur ami, Tristan, et sa compagne, la narratrice, se rendent en TER à son enterrement. Charlin, l’ami un peu encombrant, qui avait ressurgi dans la vie du couple depuis quelques mois, depuis le licenciement de Tristan. Charlin qui soufflait toujours des idées incongrues à Tristan, qui s’éternisait un peu trop souvent le soir, qui occupait l’espace même absent.
Malgré le chômage, tout n’allait pas si mal pour le couple. Jusqu’à un anniversaire, et une photographie grand format, qui cristallisent la fragilité de leur amour. Le grain de sable qui fait vriller les rouages.
“Tant pis si on loupait le buffet, on louperait déjà l’essentiel, la fin de l’histoire, ce qui n’avait déjà plus grande importance car la fin de l’histoire, à ce moment-là, tout le monde la connaissait déjà, il n’y en avait plus d’autre possible et elle se résumait en deux mots : Charlin en désintégration, dans un four neuf cents degrés.”
Au fil des chapitres, Marion Guillot narre la routine désabusée, le désenchantement du quotidien et l’accablement. L’histoire pourrait se dérouler en deux jours ou en dix ans, le temps se dilate. Sous l’ennui, sous l’effacement des personnages, chacun est vivant, prêt à crier « C’est moi », comme le montre leurs actes désespérés. S’ils demeurent presque anonymes, on devine des caractères et des histoires singulières sous les personnages, notamment dans l’anecdote du Talmud meurtrier ou celles des camélias. Comme une invitation à creuser autour de nous, à observer plus finement, au delà de l’intime assumé.
112 pages
éditions de Minuit
Aurore
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