Avec Big Daddy, Chahdortt Djavann nous emmène au fin fond de l’Amérique, dans le ghetto de Redville où seules pauvreté et criminalité font le charme du coin.
Deux voix alternent dans ce roman, celle de Rody, jeune orphelin latino-américain, et celle de Nikki Hamilton, son avocate commise d’office, qui se prend d’affection pour ce délinquant condamné à perpétuité à la suite d’un triple meurtre. Tous les dimanches, pendant plusieurs années, ils se retrouvent en face à face au parloir. Non sans verve, Rody lui raconte le ghetto et comment il est devenu le protégé de Big Daddy qui, tous les matins à neuf heure tapante devant des œufs au bacon, lui donnait des leçons de vie : armes, sexe, argent, haine raciale, obèses, loi du plus fort (la sienne), tuer sans compassion… Il l’éduquait comme un père apprendrait la justice et le respect à son fils.
Elle même marquée par une histoire familiale tragique, Nikki Hamilton tente de comprendre, en parallèle de sa propre vie, le parcours de Rody et le lien qui l’a unie à Big Daddy, criminel cynique, sadique et immoral dont la voix résonne à travers le récit de l’adolescent. On avance donc au son de ces trois voix qui se font échos et nous renvoient, tour à tour, dans la vie de Rody (témoin de meurtres et de tortures atroces) et dans celle de son avocate (nomade du cœur reconvertie en libraire, persévérante et pleine d’audace). Deux parcours très différents mais tout aussi chaotiques et atypiques l’un que l’autre.
Chahdortt Djavann nous embarque dans un rapport de force psychologique finement mené parce qu’invisible mais qui sous-tend l’œuvre de bout en bout, rendant chaque nouvelle prise de parole inattendue et chaque nouvel évènement imprévisible. Ce livre est une véritable partie d’échec. Chaque protagoniste avance un pion après l’autre, avec ou sans stratégie, avec ou sans manipulation affective, et on ne peut que se laisser surprendre par la tournure de la partie. Ce sont eux qui mènent le jeu, jusqu’à ce qu’il leur échappe…
Big Daddy est un roman à la fois politique, social, psychologique mais surtout, et dans toute sa noirceur, profondément humain. Avec humour et recul, Chahdortt Djavann balaye le manichéisme des croyances et des préjugés, explore la complexité du cœur et des relations humaines et montre que cruauté et sensibilité cohabitent en chacun de nous. Tout ça au rythme d’une écriture percutante et sans détour.
Pauline