Ifemelu n’a pas la langue dans sa poche, elle dit ce qu’elle pense… et ça fait du bien ! Mais tout le monde n’est pas du même avis et sa franchise lui vaut autant de sympathie que d’antipathie.
Comme beaucoup de ses compatriotes nigérians, vient un jour où Ifemelu quitte son pays et son grand amour, Obinze, pour les États-Unis. Elle y fait ses études, des rencontres, trouve du travail et obtient sa carte verte. Mais pas sans être confrontée à son statut de femme noire, de nombreux dilemmes culturels et autant de cas de conscience.
Au fil de ses expériences et de ses rencontres, elle se rend compte que tout semble cristallisé autour de la question raciale ; qu’on en revient systématiquement à la couleur de peau et à la texture des cheveux quand deux cultures s’entrechoquent. C’est ce qui la pousse à créer un blog qu’elle intitule : “Observations diverses sur les Noirs américains (ceux qu’on appelait jadis les nègres) par une Noire non américaine”, et qui va, contre toutes attentes, lui ouvrir de nouvelles perspectives d’avenir…
«Cher Noir non américain, quand tu fais le choix de venir en Amérique, tu deviens noir. Cesse de discuter. Cesse de dire je suis jamaïcain ou je suis ghanéen. L’Amérique s’en fiche. Qu’elle importance si tu n’es pas “noir” chez toi ? Tu es en Amérique à présent. Nous avons tous nos moments d’initiation (…). Le mien eut lieu en première année d’université quand on m’a demandé de donner le point de vue d’une Noire, alors que je n’avais pas la moindre idée de ce qu’était le point de vue d’une Noire. Alors j’ai inventé. Et avoue-le – tu dis : “je ne suis pas noir” uniquement parce que tu sais que le Noir se trouve tout en bas de l’échelle des races en Amérique. Et c’est ce que tu refuses. Ne le nie pas. Et si être noir te donnais tous les privilèges des Blancs ? Dirais-tu encore : “Ne me traitez pas de Noir, je suis originaire de Trinidad” ? Je ne le crois pas. Donc tu es noir, chéri. (…) »
Sous la plume captivante de Chimamanda Ngozi Adichie, Ifemelu est en proie à des sentiments contradictoires, à la fois pleines d’incertitudes et d’ambitions. Elle s’interroge sur les comportements humains, les croyances, les origines, la double-culture… et sur elle-même. Alors qu’Obinze abandonne peu à peu son rêve d’ailleurs – « “expulsé”. Ce mot faisait de lui un être inanimé. Une chose privée de respiration et d’esprit. Une chose.» – Ifemelu, devenue une “americanah”, est partagée entre deux cultures ; divisée entre la volonté de s’intégrer et le désir de rester attachée à ses origines. Mais doit-on refouler son passé pour réussir ? Assimiler une autre culture en adoptant des gestes, des expressions, un accent… est-ce perdre un peu de soi-même ou s’intégrer ?
Au-delà de son accent et de sa coiffure – cette masse de cheveux crépus sans discipline qui fait tout son charme, et qu’elle décide d’assumer pleinement – c’est à ses racines autant qu’à ses rajouts qu’Ifemelu doit faire face. À dix-neuf ans, partir aux États-Unis était un désir, à la trentaine, revenir chez elle, au Nigéria, est un besoin. Mais, après treize ans d’absence, est-ce encore chez elle ? Qu’est-ce qu’être chez soi ? Chez soi est-ce le pays où l’on a grandit ? Celui on l’on s’est construit ? Celui qui nous manque ? Celui où l’on se sent en sécurité ? Ou tout simplement celui où l’on se sent accueilli ?
À travers le parcours d’Ifemelu, d’Obinze et tant d’autres immigrés, Chimamanda Ngozi Adichie s’applique à faire tomber les préjugés sur la race et les immigrés, ainsi qu’à écorner le vernis du “racisme inconscient”. De l’Amérique à l’Afrique, en passant par l’Europe, elle dresse, avec une justesse empreinte de gravité et d’humour, le portrait d’une société mal dans sa peau, quelle qu’en soit la couleur. Americanah est un roman rare, profondément réfléchi, sans doctrine ni morale. Il parle du quotidien tout simplement.
éd. Gallimard, 2015
523 pages
trad. Anne Damour
Pauline