Dans la France du début du siècle dernier, Paul et Louise s’aiment. Ils s’observent, se rencontrent et dansent au bal, puis se marient, au mois de Juillet 1914. Année marquant également le début de la Première Guerre Mondiale.
Comme ses compagnons, Paul part en conquérant, la fleur au fusil et le coeur plein d’assurance. Mais la noirceur de la guerre et l’horreur des tranchées vont rapidement lui faire regretter sa femme et sa vie loin de la mort et du front. Auto-mutilé, puis déserteur, il se voit dans l’obligation de rester caché nuits et jours dans la petite chambre conjugale pour éviter le fusillement, jusqu’au moment où, n’en pouvant plus de rester tapi comme un rat, une idée folle le traverse.
Paul vivra au grand jour, au vu et su de tous, sous le nom de Suzanne.
Dans le Paris des Années Folles, ainsi travesti, il va peut à peut prendre de l’assurance, allant jusqu’à trouver un travail comme couturière, se créant de nouvelles amitiés en laissant éclater son exubérance et son assurance. Il va également découvrir les plaisirs tabous des célèbres bois de Boulogne, devenant même le favori, la Reine Suzy, d’une faune étrange venus assouvir ses fantasmes les plus profonds.
Mais le choc de la guerre continue de le ronger et de nécroser lentement son couple. Perdus entre les frontière des genres et des sexes, Paul et Louise se dévorent, s’engueulent, s’aiment et tombent lentement dans la folie, s’accrochant à leur passion mutuelle et au passé bref mais heureux qu’ils se sont construit avant tout ce drame.
Les disputes s’enchainent, de plus en plus violentes. Enfin, l’amnistie est proclamé, plus de 10 ans après la fin de la guerre, et avec elle la liberté, celle de ne plus vivre grimé sous les traits de Suzanne. Mais Paul a passé trop de temps à vivre dans le corps de cette femme, qui lui a permis de revivre et de s’épanouir à sa façon, pour finalement causer sa perte
Jamais puérile ni vulgaire, ne tombant pas dans les clichés moralisateurs que l’ont retrouve dans de nombreux ouvrages sur la Grande Guerre, Mauvais Genre ne laisse pas indifférent. S’inspirant de faits réels, l’auteure signe ici un ouvrage sans défaut, avec un style graphique qui plonge le lecteur dans le Paris des années 20. Tout en noir et blanc avec seulement quelques teintes plus chaudes; le rouge du vernis et de la robe de Paul lorsque Suzanne prend le dessus, des pommes d’amour, du sang. Les expressions des personnages sont saisissantes, les corps sont vivants, ils vibrent sous le papier. Le trait parfois subtil, parfois plus lourd du fusain révèle le drame de la lutte contre la mémoire, les souvenirs traumatisants du front, anime le désir, fait éclater la sensualité et la passion dévastatrices des deux âmes soeurs.
Un nouveau regard porté sur cette période si tristement célèbre, à travers le quotidien hors norme d’un couple qui luttera à corps et à cris, tentant de retrouver leur bonheur arraché. Mauvais Genre mérite amplement son Fauve d’Angoulême, et bien plus encore.
Delcourt-collection Mirages
160 pages
Caroline