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Claro – CosmoZ

Voilà un roman ambitieux comme nous les aimons chez Un dernier livre avant la fin du monde. Deuxième volet de la trilogie historique de Claro, venant après Livre XIX et avant Tous les diamants du ciel, l’auteur ausculte la première moitié du vingtième siècle en suivant les péripéties de Dorothy et de ses compagnons, exilés du pays d’OZ.

Mais revenons au début, tout commence avec un jeune homme et une tumeur dans sa bouche. Une tumeur délicate et capricieuse qui le fait souffrir et l’empêche de s’exprimer convenablement. Ce jeune homme est L. Frank Baum. Le roman après une courte introduction, un prologue, centré sur Dorothy, s’intéresse à lui. De son rapport à sa tumeur, de ses hallucinations à ses révélations, un mécanisme, un processus se met en place et va pousser L. Frank Baum à écrire son fameux roman au début du vingtième siècle.

La biographie de l’auteur du magicien d’OZ n’étant pas l’élément principal du roman, nous le délaissons rapidement pour revenir vers Dorothy, le pays d’OZ, les Munchkins, un épouvantail, un homme de fer et un lion peureux. Tout doucement il se met en place un périple que vont traverser nos héros, une aventure loin du pays d’Oz, se déroulant dans un autre univers, le nôtre. Des tranchées de la première guerre mondiale aux usines de fabrications de montres, du Los Angeles des années 30 à l’asile du Vinatier à Lyon pendant la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à Los Alamos et la conception d’une certaine bombe, l’odyssée de Dorothy et de sa clique va aller de mal en pis, le lointain souvenir d’un Eldorado, l’espoir de le revoir un jour, les animant.

« Je connais et retiens la fin. La tornade. Qui va et vient, solide et liquide, et se souvient du temps où nous aimions l’enfer et se souvient du rien où nous étions enfants. Où nous étions l’enfer, sa possibilité et son annulation. Je marque les temps et les territoires, en pensée, en vomissant des guirlandes de barbelé et des volutes de phosgène. Telle une poule hypnotisée, chaque homme cherche le billot où étendre son cou et reposer sa tête au plein soleil tandis qu’à l’horizon les puissances du gris s’affrontent et mugissent et méditent. Dorothy, Oscar, Elfeba, Nick, Avram, Eizik : je vous ai isolés puis je vous ai rassemblés. Je vous ai arrachés au terreau baumien et inoculés dans les veines du siècle, j’ai laissé faire, laissé dire, un œil fixé sur l’horizon sans cesse remodelé par les obus et les voies ferrées, un pied sur le sol où dormaient des milliers de cadavres. J’ai rêvé quelques apocalypses, histoire de passer le temps, de laisser passer l’histoire du temps, puis j’ai cherché votre plus petit dénominateur commun et je l’ai torturé. C’est incroyable ce que peut raconter un plus petit dénominateur commun, cette façon qu’il a de baver sous le cuir de la semelle et le fer de la lame. Nul besoin de le faire chanter, il chante tout seul, il est une gamme étirée jusqu’au point clinquant de la rupture ! Vous craquez tous les uns après les autres tels des os pris dans l’étau de la persuasion. Vos peurs sont des moteurs, vos espoirs des nageoires atrophiées. Tournez-vous : Oz est là. Retournez-vous : Oz est ici. Cherchez une issue : elle est pavée de briques jaunes et mène là où vous savez. Je suis Oz et Anti-Oz, matière et forme, pulsion et répulsion. »

Cosmoz propose une relecture de la première moitié du vingtième siècle, une relecture amère et pleine d’absurdité. Dans ce livre monde, ce livre des mondes, l’anormalité, le cocasse ou le non-sens ne viennent pas du pays d’Oz mais du nôtre. En confrontant deux univers, la fiction à la réalité, le choc est d’autant plus marquant. La fiction paraît douce et colorée à l’inverse de ce monde dans lequel nous avançons. Ce n’est pas Hollywood dépeint dans le roman qui contredira mon propos. Alternant les styles, protagonistes et formes narratives, l’auteur balade ses lecteurs dans un tourbillon sans fin, ponctué par des tornades, concrètes et/ou symboliques pour naviguer d’un temps à un autre, d’une aventure à une autre, la désillusion de nos héros en toile de fond.

Claro signe ici son livre le plus passionnant, faisant écho au mythe du grand roman américain, il ose jouer avec les codes métafictionnels pour développer une grande toile englobant tout ce qui a fait l’histoire et la fiction de la première moitié du vingtième siècle. Ne vous étonnez pas des rencontres que vous allez faire tout du long, elles sont aussi inattendues qu’elles ont du sens.

 

 

Cosmoz-Claro-BabelActes Sud,
Collection Babel,
597 pages,

Ted.

À propos Ted

Fondateur, Chroniqueur

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