« Comme bien souvent dans mon métier, c’est écrit et ça sent mauvais. »
Cette phrase vous reste en tête tout le long de ce court polar. Frédéric Léger, profession correcteur pour la maison d’Édition de la « Convivialité Transactionnelle Interprenariale » ou plus simplement « CTI » qui a pour vocation de publier une dizaine d’ouvrages par an, de préférence des essais, axés essentiellement sur des sujets d’actualité encore présents à l’esprit du public salarié mais dont l’importance touche aux fondements durables de notre société post-tertiaire. Cette maison d’édition prône le libéralisme dirigé par un ancien chef d’entreprise, M. Vergegen. Donc ce correcteur, car c’est lui qui nous intéresse, mène une vie trépidante entre gueules de bois, corrections, vie de couple/famille ratée, repas le midi au charmant bistrot chez Germaine.
En somme une vie pleine d’aventures qui va être complètement chamboulée par un jeu d’épreuves qu’il a reçu et son passage à tabac par deux types patibulaires. Que lui veulent ses agresseurs, où est passé le jeu d’épreuve qu’on lui réclame à présent, qui se cache derrière la CTI, qu’est ce que son ex-femme et son ami journaliste ont à voir là-dedans, c’est tout son univers qui éclate.
Ce court roman drôle et sombre à la fois, révèle un Claro maitrisant pleinement les effets et codes du « Polar ». Il crée un univers complexe et loufoque, mais surtout très prenant, que beaucoup d’auteurs de ce genre littéraire peinent à créer. L’histoire démarre sur une note légère à l’image de Frédéric, pleine d’humour et d’autodérision. Mais comme tout bon polar qui se respecte le suspense et la progression de l’histoire basculent tranquillement dans les limbes de la noirceur humaine et dévoilent un style et même un univers que je ne connaissais pas chez Claro.
Il est toujours difficile de parler d’un auteur que l’on admire en restant objectif et en n’ayant pas l’impression d’être trop dans la critique de « fan ». Garder sa part d’objectivité peut parfois se révéler beaucoup plus dur que prévu. Mais voila ce petit roman n’est certainement pas son meilleur livre, mais cela reste tout de même un bon polar qu’on lit avec plaisir et dont on ne peine pas à tenir jusqu’au bout, même loin de là. Alors oui « Cosmoz » et « Chair électrique » et surtout, surtout « Tous les diamants du ciel » sont, selon moi, ce qu’il a fait de mieux et font même partie de ce que j’ai lu de mieux en littérature française « moderne ». Et puis, oui son boulot de traducteur, que ce soit pour Pynchon, Vollmann, Gass, Gaddis (ah ! Agonie d’Agapè décidément…), Rushdie, Selby jr., Barth j’en passe et des meilleurs démontre les qualités d’un immense traducteur. Mais voilà « Les souffrances du jeune ver de Terre » n’a ni la vocation d’être son œuvre ultime, ni la prétention de révolutionner les codes, nous sommes juste face un excellent polar.
Babel Noir
175 pages
Ted