La parution d’une nouvelle traduction de Retour à Harlem de Claude McKay est louable pour plusieurs raisons. Outre que ce roman est une œuvre d’une incroyable liberté, il permet de se rendre compte de la vitalité très ancienne de la littérature africaine-américaine. Paru en 1928, ce livre rencontre rapidement un grand succès et sera considéré comme l’œuvre majeure de son auteur. À l’heure où les publications s’enchaînent et se ressemblent toutes et dénotent d’une certaine vacuité politique, publier une œuvre majeure de la littérature africaine-américaine est un acte militant. Ce ne pouvait être que Nada éditions (et d’autres éditeurs de cet acabit) pour proposer un tel livre. Il est agrémenté de magnifiques illustrations et la nouvelle traduction restitue toute la verve de Claude McKay.
Le personnage principal de Retour à Harlem est un africain-américain nommé Jake. Il a déserté la Première Guerre mondiale pour revenir dans le quartier new-yorkais de Harlem alors en pleine effervescence. Claude McKay nous fait vivre les folles nuits de ce quartier et son atmosphère joyeusement sulfureuse. Puis, Jake part travailler à bord d’un train en tant que cuisinier. Il y rencontre Ray, un Haïtien très cultivé qui deviendra très rapidement son ami le plus cher. Ces deux hommes deviennent les faces de la même pièce, Jake en épicurien et hâbleur et Ray en homme révolté et en retrait. L’histoire de cette amitié forge l’épicentre de Retour à Harlem et propose une double vision à la fois politique et libératrice.
Car quand nous lisons Retour à Harlem, nous sommes d’abord saisi.e.s par le ton radicalement libre qu’utilise Claude McKay, son vocabulaire tonitruant pour décrire la couleur de la peau et le soin apporté pour transcrire l’ivresse et le désir. Nous pourrions croire qu’il ne s’agit que de fête, d’une liesse chaleureuse sans objectif. Mais ce roman est un programme d’émancipation. Ce que décrit l’écrivain n’est au final que le combat des noirs-américains pour être le plus heureux possible au sein d’un pays raciste. Harlem est l’Eldorado de cette population qui ailleurs ne trouverait que haine et mépris de la classe blanche dominante. Ce sentiment d’ivresse qui s’empare du/de la lecteurice de Retour à Harlem ne doit pas faire oublier que dans les années 1920, la ségrégation bat son plein.
Ce livre phare de Claude McKay est aussi savoureux à lire qu’à analyser. La description des désirs, son aspect parfois trop viril permet de dépasser une description négative et misérabiliste des personnes noires-américaines. Nous sommes évidemment loin de tout (pro) féminisme, mais tout le monde ici veut être le plus heureux y compris les femmes noires. Le plus souvent la joie l’emporte sur la violence et la haine. Claude McKay rappelle ainsi au lectorat d’aujourd’hui que la lutte passe également par une émancipation sensuelle et joyeuse, par le désir d’une liberté sans cesse éprouvée. L’histoire de Retour à Harlem est simple, pourtant la complexité du message politique qui s’en dégage est difficile à saisir et à faire perdurer : Oui, il est possible de lutter contre l’oppression par la joie et le désir.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie Brazilier et Romain Guillou
272p
Adrien