Un dernier livre avant la fin du monde WebZine Littéraire
Oscar est aide soignant à Cedarbrook, la maison de retraite avec la glycine sur la façade, à Cambridge. Issu d’une famille on ne peut plus modeste, vivre dans cette ville de carte postale est à la fois un bout de rêve et un monde irréel.
Un soir, alors qu’il rentre chez lui, il est happé par la musique s’échappant de la chapelle de King’s College. Un orgue et un chœur qui l’entourent d’une couverture fragile, vibrante et cristalline. Oscar ne peut s’empêcher d’entrer dans le majestueux temple gothique, envoûté par les chants et le souffle délicat de l’orgue. Mais une fois à l’intérieur, c’est un charme bien différent qui va se jeter sur lui. Il croise le regard, au moins aussi exaspéré que lui par la litanie religieuse, d’Iris Bellwether, belle blonde étudiante en médecine, fille d’une (très) riche famille et sœur de l’organiste du soir, le fameux Eden. Allant à l’encontre des réalités sociologiques, une idylle se noue tranquillement entre Oscar et Iris, au milieu de la famille Bellwether et du groupe d’amis.
Quelques mois plus tard, Eden sera transporté d’urgence à l’hôpital, tandis qu’au bord de la Cam gît sous son drap mortuaire un corps encore inconnu.
Le complexe d’Eden Bellwether est le premier roman de Benjamin Wood, plutôt remarqué lors de cette rentrée littéraire de septembre, qui a été on ne peut plus réussi chez Zulma cette année, entre ce titre et L’île du point némo. Prenant place dans le cadre superbe du campus de Cambridge, on y retrouve tous les éléments que l’on attend dans ce type de décor : de riches étudiants brillants, blasés discourant à longueur de journée de philosophie, musique, politique, avec un avis sur tout. Une belle histoire d’amour entre deux personnes issus de deux milieux opposés mais ça n’empêche pas les sentiments. Un jeune frère encore plus brillant que les autres, charmeur, séducteur, meneur.
Eden Bellwether n’est pas un riche étudiant d’Oxbridge comme les autres. Manipulateur, il veut utiliser la musique baroque et ses capacités d’hypnose pour prouver son intelligence et sa supériorité sur le monde. Il va entraîner sa sœur et ses amis dans son délire, entre orgueil et psychiatrie.
« Mon fils est-il quelqu’un d’exceptionnel ou quelqu’un d’anormal? »
Si la trame générale de l’histoire semble classique (et d’un bon classique), on ne peut que souligner avec quel brio et quelle intelligence Benjamin Wood mène son histoire et fait évoluer ses personnages. Les relations complexes se dévoilent au fur et à mesure des pages et ne restent pas dans les clichés que l’on peut avoir des rapports entre riches étudiants et habitants lambda. La sinuosité de la personnalité d’Eden se dévoile de manière tranchée, selon que l’on adhère à cette impression de folie qui inquiète d’abord Iris, puis Oscar, ou que l’on se laisse séduire par ce jeune homme fringant, aussi intrigant que détestable, car Eden ne laisse définitivement pas indifférent.
Benjamin Wood nous enferme dans ce beau cocon qu’est Cambridge, entre ses colleges centenaires, ses parcs immaculés et ses maisons de maître, nous glisse dans les chambres, les salons et les jardins de cette élite, avec ses brunchs, ses cognac de fin de repas, ses vieux professeurs grincheux et attachants, et ses délires cachés, ignorés, car la plus grande volonté de cette caste supérieure, brillante et dominatrice n’est-elle pas de ne pas faire de vague, car cela ne se fait pas. Jusqu’à nourrir le loup avec son propre sang ?
Entre séduction et empoissonnement, Eden Bellwether nous prend définitivement entre ses griffes… reste à savoir dans quel état on en ressort!
Editions Zulma
512 pages
Marcelline
