Depuis toujours, les contes de fées ont eu pour vocation d’alerter les enfants quant aux monstruosités des hommes. Bien souvent, l’excipit se veut rassurant, comme si, après l’horreur menaçante et parfois exécutée, un futur radieux nous attendait. Avec Les Contes défaits, Oscar Lalo fait une entrée remarquable en littérature, redonnant du sens à des futurs brisés par les contes de fées.
La chambre de la grand-mère est comme chacun sait, la préférée du loup. Mais ça c’est une autre histoire. Enfin c’est toute l’histoire.
Soixante-cinq ans, l’âge auquel le narrateur esseulé décide de comprendre son mal-être. Après une brillante carrière d’avocat, celui-ci replonge dans ses souvenirs d’enfance, où parents absents et vacances terrifiantes se mêlent. Premier souvenir, 18 mois, la main de la mère qui l’abandonne au pied du train à un homme. Compartiment de garçons, tous plus terrifiés les uns que les autres. Ils partent dans un home d’enfants, colonie de vacances pour familles aisées, où épanouissement et bonheur semblent régner.
Dès les premiers paragraphes, on soupçonne l’indicible. Le couple d’ogres qui tient la pension, elle froide et méchante comme une sorcière, lui aimant comme un loup prêt à dévorer les agneaux. Au fil du texte, on découvre un monde où les enfants n’ont plus le droit d’être, se résignant à être en effet sages comme des images. Lisses, sans saveur, sans vie. On aperçoit le loup rôder autour de la maison, le silence qui s’impose à chacun, l’absence de relations amicales et de joie.
Ils ressemblaient tous à des nuages. Mais des nuages d’un genre particulier. De ceux qui ne pleuvent jamais.
Une fois les souvenirs acceptés, comment se reconstruire ? Oscar Lalo offre à son protagoniste une fenêtre avec une ultime et laconique confession de la directrice glaciale. Celle-ci suffira-t-elle au vieil homme pour s’échapper de cet univers de désolation ? La résilience est-elle possible pour des enfants qui n’ont pas pu l’être, des adultes qui ont du jouer un rôle dès leur plus jeune âge ?
Avec ce premier roman, Oscar Lalo nous plonge au coeur de la manipulation psychologique, de l’emprise des adultes sur les enfants et de la destruction des identités. Entre l’agneau et le loup, y-a-t’il tant de différences ? Souvent dérangeant malgré sa pudeur, le texte fait la part belle au silence. Le silence imposé, celui qu’on ne peut briser malgré sa volonté d’enfant. Le silence qui emprisonne, qui contient, qui finira par éclater dans toute son absence et qui prendra le dessus sur une vie avortée. Ni enfant ni adulte, le narrateur reste un paradoxe.
Editions Belfond,
224 pages,
Aurore
Excellent roman, l’écriture et l’histoire saisissent à froid…