Ma première rencontre avec Charlotte, biographie sur Charlotte Salomon écrite par David Foenkinos, a été dans un journal il y a quelques années: une pleine page avec un détail de l’oeuvre Autoportrait de l’artiste-peintre et cette citation tirée du livre:
« Alfred pose une main sur la joue de Charlotte.
Avant de dire: merci.
Merci pour tes dessins.
Je les aime par la puissance de leur promesse.
Je les aime car j’ai entendu ta voix en les regardant.
J’ai ressenti une forme de perte et une incertitude aussi.
Peut-être même l’esquisse d’une folie.
Une folie douce et docile, sage et polie, mais réelle.Voilà.
Ce que je voulais te dire.
Nous sommes un très beau début. »
Cette page, je l’ai découpée et précieusement conservée, jusqu’au jour où lire l’intégralité du roman est devenu presque nécéssaire. En le parcourant, on apprend que David Foenkinos a fait la connaissance de Charlotte par hasard, d’une manière presque impromptue, et que dés lors il n’a eu de cesse que de la connaître et d’écrire sur elle, sur sa vie, sur son oeuvre. On apprend également que ce livre l’a presque hanté pendant longtemps, qu’il ne parvenait pas à le saisir, le coucher sur papier, toujours insatisfait tant sa rencontre avec le travail de l’artiste l’avait bouleversé. Il a fourni un véritable travail de recherche, visitant les différents lieux en Allemagne et dans le Sud de la France où la jeune fille s’est rendue. Et surtout en parcourant Vie? Ou Théâtre? son oeuvre majeure, « toute sa vie » où elle mêle peintures, textes et références musicales, le tout formant une autobiographie où le réel, la fiction, le vécu et le ressenti se mêlent.
David Foenkinos trouve alors comment dérouler ce roman inspiré de la vie de Charlotte Salomon; il va le chanter, en faire une mélopée envoûtante animée par un seul et unique élan. Il opte pour une écriture particulière et nouvelle en utilisant uniquement des phrases brèves d’une ligne chacune, s’enchaînant à la manière d’un poème en proses.
« Charlotte est devenue une adolescente.
Les gens aiment à dire qu’elle est dans son monde.
Etre dans son monde, cela engendre quoi?
La réverie, et la poésie sûrement.
Mais aussi un étrange mélange de dégoût et de béatitude.
Charlotte peut sourire et souffrir en même temps. »
On y découvre Charlotte, sa famille maternelle marqués par de trop nombreux suicides, la dépression profonde semblant être génétiquement transmise à travers les générations: sa mère, sa tante, sa grand-mère, sans compter tous les autres qui ont été rattrapés par une torpeur sourde, une immobilité qui les as conduit à la noyade ou la défenestration.
Elle grandi donc avec son père, un médecin trop absorbé par ses recherches médicales, et sa belle-mère Paula, une cantatrice adulée et exubérante. Enfant solitaire, adolescente discrète, elle traverse sa vie sans brusquerie, quasiment silencieuse, déjà porteuse de ce gène particulier. Mais contrairement à ses aïeuls, Charlotte exorcise ses démons en décidant de se lancer dans la peinture et en intégrant l’Académie des Beaux-Arts de Berlin dans un contexte d’avant guerre où sa condition de Juive la handicape. Elle doit travailler encore plus dur que les autres membres de l’école, faire encore plus valoir son talent pour le prouver, tout cela car elle n’est pas aryenne et encore moins représentative de l’Allemagne rêvée d’Hitler.
Elle rencontre Alfred, le professeur de chant de sa belle-mère, qui deviendra son amant et l’amour inconditionnel de sa vie. Plus tard, lorsqu’elle sera exilée dans le Sud de la France pour fuir la Seconde Guerre Mondiale, elle n’aura de cesse de dessiner son visage encore et encore et retranscrire la moindre de ses paroles, le plus infime détail de leurs conversations encore gravées en elle.
La vie de Charlotte Salomon est loin d’être heureuse, aussi bien d’un point de vue familial qu’historique. Elle sera tuée à 26 ans à Auswitch, enceinte, laissant derrière elle une oeuvre résolument moderne pour son époque, notamment Vie? Ou théâtre? qu’elle a réalisé dans l’urgence, consciente du danger qu’elle encourait et qui reste son travail le plus riche et dense. Aujourd’hui, on entend très peu parler d’elle alors qu’elle a été l’une des artistes les plus avant-gardistes de sa génération, et son talent a marqué toutes les personnes qu’elle a pu rencontrer.
Avec ses vers libres, David Foenkinos nous fait découvrir cette artiste si particulière, hantée par ses démons familiaux, une mélancolie illéductable, le poids d’une folie douce sur ses épaules. Il ne s’attarde pas sur son travail pictural, ne distillant que quelques informations notamment au niveau des couleurs employées, s’employant plus à retracer cette vie qui l’a menée à peindre ainsi.
C’est une rencontre. Un très beau début.
« Il y a des théories sur le rangement des livres.
Notamment celle du bon voisinage.
Le livre que l’on chercher n’est pas forcément celui que l’on doit lire.
Il faut regarder celui d’à côté. »
Editions Gallimard
Collection Folio
254 pages
Caroline