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Denis Johnson – Rêves de train

En 2017 nous quittait Denis Johnson. Après un crépusculaire recueil de nouvelles ( La générosité de la sirène), il nous laissait avec une dizaine de romans, deux recueils de nouvelles, ainsi que des pièces de théâtre inédites en France. Denis Johnson s’employait à décrire avec passion, subtilité et tendresse les portraits de l’Amérique. Il n’aura eu de cesse, inlassablement, de parcourir la géographie américaine et les psychologies des habitants. Un puissant architecte généreux, et empruntant même par moment quelques touches de mysticisme pour décrire la « légende » états-unienne que veulent imposer les américains.
Tout n’était pas beau dans les histoires de Johnson, loin de là même. Mais il savait sublimer ses histoires, et ce qui d’apparence pouvait être banal basculait dans une sorte d’état de grâce la page suivante. C’était le style Johnson, unique et inimitable.

Rêves de train (Train Dreams) paru en 2003, reçu le Aga Khan Price de la revue Paris Review , et fut traduit et édité par Brice Mathieussent dans sa collection « Fictive » chez Christian Bourgois éditeur en 2007.
En 2021, toujours chez Christian Bourgois éditeur, mais cette fois-ci dans la collection de poche « Titre » et visiblement avec une révision de la traduction par Brice Mathieussent, ressort ce chef d’œuvre de l’auteur avec une magnifique couverture de Gabriel Gay (allez voir son Instagram, c’est sublime!).

Voilà pour les présentations.

Rêves de train raconte la vie de Robert Grainier, un ouvrier des chemins de fer américain au début du vingtième siècle, s’attaquant à des projets audacieux tant par la prouesse que ça représentait, que par les contraintes, notamment climatiques des lieux.
Ce personnage, simplet d’apparence, qui au fil de son histoire va nous faire parcourir une partie de l’Amérique et par le truchement de ses péripéties et de cette nature omniprésente et définitivement sauvage, va nous questionner sur les valeurs et le sens de la vie.

Et ce roman est un chef d’œuvre. Comme ça s’est dit, pour ceux qui ne connaissent pas encore l’auteur, le livre ne sera pas représentatif du tout de l’auteur, tant il était protéiforme, mais il s’agit de l’un de ses meilleurs textes.

On pourrait qualifier Rêves de train de conte contemporain, ou de fable moderne, mais ce qui marque le plus finalement, tout comme pour Glenn Taylor et sa « Balade de Gueule-Tranchée », c’est l’immuabilité narrative. Tout est rapidement annoncé, et tout ce qui doit se passer fini par se passer. L’histoire se déroule, elle s’achemine comme annoncée. Car le propos n’est pas dans la forme, mais dans le fond.

Et c’est là qu’entre la magie de Denis Johnson. Son style, ce petit truc qui prend aux tripes à chaque fois. Car Robert Grainier, nous apprenons à le connaître, à l’aimer, et à comprendre sa manière de penser, sa philosophie, ses principes etc … On apprend à s’identifier à lui, et aussi court que soit ce texte, on vit chaque page à ses côtés. C’est comme ça que l’auteur transcende son œuvre et nous plonge dans ce lieu, cette époque et cette vie.

Ainsi nous découvrons ce qui fut le plus proche d’être « l’American Way of Life » et surtout ceux, qui dans les coulisses, l’ont batti. Mais c’est également cette critique envers une société qui commençait déjà à se déconnecter du réel, avec un puissant rappel sur ce qui faisait la grandeur de ce pays, sa nature, sauvage, indomptable et quasi-mystique, qui n’avait de cesse de vous rappeler qu’elle pouvait tout prendre en un claquement de doigt.

Dans ce conte, l’auteur touche à une forme de perfection, le ton, le rythme, le propos, la fluidité du texte, tout fonctionne et les pages s’enchaînent nous laissant chaos à la toute dernière ligne. Car après tout « Cette époque disparu à jamais ».

La traduction de Brice Mathieussent et son investissement pour le faire connaitre en France est admirable, le travail de l’éditeur pour continuer à le faire connaître aussi. Alors espérons très fort que cette sortie poche donnera envie de le lire ou de le relire, et de se rappeler que parmi les grands, en Amérique, il y avait l’immense Denis Johnson.

Christian Bourgois,
Collection Titre,
trad. Brice Mathieussent,
138 pages,
Ted.

À propos Ted

Fondateur, Chroniqueur

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