Dans les citations qui ouvrent La main gauche de Derek Munn, il y a celle de Pierre Bergougnoux qui résonne particulièrement une fois le livre refermé : « (…) toute connaissance est un exil » (Extrait de Carnet de Notes). Cette notion d’exil irrigue ce roman sensible et généreux, surtout quand on connaît la biographie de Derek Munn, né en Angleterre puis venu vivre en France pour commencer à écrire en 2005. L’histoire que raconte l’écrivain n’est pas pour autant limitée, elle est universelle et parlera à quiconque fait l’épreuve du temps et des évolutions humaines. C’est l’un de ces rares romans de l’intimité partagée où l’ego s’efface pour parler à toustes.
La main gauche raconte l’histoire de Shelley, artiste plasticienne d’origine américaine qui vit en France avec sa compagne Stéphane. Alors qu’elle est en train de faire une résidence artistique, elle doit revenir à ces États-Unis natales pour régler des questions d’héritages. Mais, derrière ce voyage, se cache une confrontation à un passé qui ne lui correspond plus. Shelley devra faire face à un territoire plongé dans le conservatisme religieux et moral. Ce retour est une épreuve violente alors qu’elle se sent si protégée dans sa relation amoureuse et dans sa vie de créatrice. Elle doit faire face à une mise en danger de sa propre identité.
Derek Munn déroule cette histoire avec une grande inventivité, plongeant le/la lecteurice au cœur de la conscience de Shelley. La main gauche se raconte à la fois par le je de Shelley et le tu de sa conscience qui surplombe son histoire. Derek Munn construit cette écriture binaire, visible avec une typographie spécifique pour les deux narrations, pour faire mieux ressortir la complexité des émotions vécues. C’est le grand intérêt de La main gauche qui devient ainsi un roman d’une grande profondeur, à la fois généreux et bienveillant.
On avait pu constater la douceur qui transpire de l’écriture de Derek Munn dans son précédent livre Please. C’était un recueil de poésie inattendu autant pour les lecteurices que pour l’auteur lui-même de son propre aveu. L’écriture de Derek Munn est douce, mais absolument pas doucereuse. Elle se lit comme on contemple une lumière, qui change au gré des évolutions de ce qui est raconté. La main gauche est un livre ouvert sur son temps. C’est une œuvre littéraire qui cherche à dépasser la rigidité de cette discipline en ouvrant la porte à tous les autres arts. En lisant La main gauche, on pourra trouver des passerelles vers l’art plastique, la peinture, le cinéma mais aussi la musique.
On ne peut pas faire l’impasse sur cet entremêlement que propose Derek Munn entre l’intrigue de son livre et celle du film La nuit du chasseur de Charles Laughton. Mais rien n’oblige d’avoir vu ce film pour apprécier La main gauche. Au contraire, il est certain que le visionnage du film après la lecture de ce roman donnera une continuité salvatrice aux deux œuvres, comme une trace apaisante dans notre mémoire et un bagage supplémentaire pour nos parcours de vie.
248p
Adrien
Image du bandeau : Détail de la couverture réalisée par Carole Lataste / N’A QU’1 ŒIL