La conclusion de l’œuvre de Don Carpenter, une œuvre faisant écho à sa vie d’auteur, un texte que certains auront eu l’audace de traiter de « semi-autobiographique ». Le chant du cygne d’un écrivain d’une immense sincérité et générosité dans son style et son écriture. Un dernier verre au bar sans nom, ou comment se faire à l’idée qu’après la lecture de ce roman Don Carpenter n’était pas un auteur parmi tant d’autres, mais un immense écrivain américain.
Dans ce portrait de l’Amérique post « Beat generation », la littérature se renouvelle progressivement et subtilement. Dans une abondance de lieux et de personnages, le lecteur découvre de nouveaux auteurs, des écrivains en marge des grands courants, des auteurs qui en veulent et pour qui le mot et le verbe ont un sens. Mais plus important que l’écriture elle-même, Don Carpenter nous enivre avec cette sensibilité et le soin porté à ses personnages. Des loosers magnifiques ou de jeunes talents en herbe, qui on tous en commun ce souci du réalisme social et sont travaillés avec une grand finesse par l’auteur.
« Quand Dick eut relu la nouvelle version de l’histoire de Stan Winger, retravaillée et tapée au propre, il dut admettre qu’elle était plutôt pas mal. Son agent ne la rejetterait peut-être pas. Peut-être que Dick avait découvert un nouveau talent très prometteur. Peut-être qu’il allait payer cher ce coup de main. Pouvait-il laisser tomber Stan ? Lui dire froidement que finalement, le texte n’était pas assez bon ? Non. »
Un dernier roman rempli d’amour et de nostalgie, un auteur sur le déclin signant très certainement son adieu à l’écriture en se remémorant ses joies du début. Un texte qui prend aux tripes, électrise et secoue le lecteur. La régularité d’un auteur sur l’ensemble de ses œuvres qui aura su soigner sa sortie.
La découverte hasardeuse par Jonathan Lethem des livres de Don Carpenter, puis son amour pour son univers et enfin le travail qu’il aura fourni pour que ce manuscrit, qui trainait dans un coin, soit finalement publié, permet aux lecteurs de renouer une dernière fois avec un auteur incroyable, au talent monstrueux qui aura su rendre encore plus vivant ses personnages que certains êtres humains.
« Le problème quand on a appris ses manières dans les romans de gare, c’est qu’ils vous fournissent les mauvaises lignes de dialogue. Stan était persuadé d’avoir besoin d’une bonne réplique. Parce que dans ces circonstances, dire la vérité ne marcherait pas. « Alors voilà, euh, je suis écrivain, je remporte un joli succès, et je suis venu à Hollywood pour travailler dans le cinéma. » C’est ça, ducon. Comme les dix derniers mecs qui ont débité cette phrase. »
Dans la postface de Jonathan Lethem un élément clé et pertinent est avancé. Don Carpenter parle de la condition humaine en général et s’appuie sur l’exemple de l’incarcération. Jonathan Lethem dit : « Dans une interview à propos de Blade of Light, Don Carpenter dit clairement qu’il envisage l’incarcération comme une condition de base, celle des êtres enfermés dans un corps, et des corps enfermés dans un destin » et à l’évocation de ce passage comment ne pas voir « Un dernier verre au bar sans nom » comme le destin d’un écrivain, enfermé dans cette pièce seul derrière une machine, cherchant à s’évader par les mots écrits sur une feuille. Un dernier coup d’éclat, une dernière révérence, magnifiquement traduits par Céline Leroy.
Cambourakis,
Trad. Céline Leroy,
390 pages,
Ted.