Après nous avoir baladés dans « Joueurs » et avant une autre de ses oeuvres immensément réputé, Don Delillo revient en 1978 avec un roman d’exploration stylistique. Ce n’est pas la première fois qu’il explore un genre, nous avions eu à faire à sa vision de la science-fiction avec le très « Pynchonnesque » l’Étoile de Ratner. Mais ici, imprégné par son époque, nous plongeons dans le polar avec « Chien Galeux ».
Ici l’histoire tourne autour d’une mystérieuse bobine, un mythe, datant de 1945. Un film sur pellicule dont le visionnage endommagerait irrémédiablement le contenu. Donc un film sur bobine, ayant pour acteur des êtres bien réels, Adolf Hitler dans son bunker, participant à une orgie peu de temps avant sa mort.
Cet objet de convoitise et de fantasme, devient le centre d’intérêts de plusieurs personnes. Qu’il s’agisse d’un antiquaire, d’ une journaliste, d’un sénateur collectionneur, un producteur de film porno ou encore la CIA ainsi que des vétérans du Viet-Nam, la course sanglante est lancée.
Les prémices de son chef d’oeuvre « Libra », on pense forcément à son monument qu’il écrira une décennie plus tard. Mais « Chien Galeux » est bien plus que ça. Tout comme nous pouvions en deviner certains contours avec son prédécesseur, ce roman-ci appuie encore plus sur l’aspect du « Jeu de dupes ». Tout n’est que paraître et mouvant sous ses artifices de superficialité.
Ainsi, le roman s’ouvrant de manière totalement formaliste, avec les codes du roman policier, très vite nous nous rendons compte que le roman n’était pas un polar, mais se donnait les atours du genre, pour se mouvoir vers d’autres registres, y compris le western dans son final. Le jeu de dupes est autant le roman que le sujet de ce dernier, brouillant les pistes pour mieux questionner le lecteur.
Dans son excellente analyse du Delillo, François Happe (voix américaines – Belin) dit à propos de ce roman :
« Confortablement installé dans un monde familier, qui fait appel à un fond d’images stéréotypées, le lecteur se lance déjà dans l’enquête qui peut maintenant commencer. Bien entendu, cette ouverture sanglée par la formule attire la suspicion ; comme tout masque, l’excès de code cache visiblement. Cette stratégie du leurre remplit une double fonction : thématique d’abord, puisque l’intrigue qui va suivre, avec sa poursuite impitoyable et mortelle a pour origine un objet qui se révélera être lui-même un leurre ; pragmatique aussi , car en exhibant de telle sorte le procédé, le texte contraint à une autre lecture, c’est-à-dire à la véritable enquête, qui permettra au lecteur de remonter la piste du sens. »
un jeu de faux-semblant poussant invariablement le questionnement sur ce qu’est le réel. Alors en pleine période des dénouements du Watergate et la démission de Nixon en 1974, et dans une décennie sortant de l’enlisement progressif que représente la guerre du Vietnam, l’auteur prend un plaisir certains à en distiller une relecture « Pulp » et cinématographiquement référencé pour finir par cristalliser un portrait sombre et violent d’une Amérique ayant une drôle de gueule de bois.
Comparativement, nous pourrions rapprocher Chien Galeux à l’univers d’Ellroy, tant les clichés abondent et son perverti pour offrir une relecture cinglante d’une époque où encore d’une société. Continuant à se jouer des codes, Don Delillo, même avec des œuvres plus « mineurs » prouve son aisance et son talent, nous pourrions parler ici de la dernière pierre à son édifice dans sa phase « d’exploration », Une sorte de fin de chapitre. Mais comme nous verrons plus tard, bien que plus discrètement, l’auteur se ré-aventurera à jouer avec les genres pour en donner une lecture autre.
À noter, Chien Galeux est bien le journal mentionné dans “Great Jones Street”, une autoréférence chez l’auteur ou bien une volonté d’unifier certains récit entre eux, pour donner une forme d’univers « Delillesque »…
Actes Sud,
Babel,
Trad. Marianne Véron,
265 pages,
Ted.