En 1977, et après un “Étoile de Ratner” qui lui valut des comparaisons avec un certains Thomas Pynchon et marquant une rupture avec ça première période (à savoir American, End Zone, Great Jones Street), sort un roman plus court, plus vif, et d’aspect moins labyrinthique. Un roman qui continue de marquer la rupture d’affirmer la signature et le style Delillo.
Fini les œuvres de jeunesse, “Ratner” avait marqué cette cassure, et surtout ce besoin de développer une univers riche et complexe. Nous abordions la science-fiction avec son précédent roman, ici nous plongeons dans le terrorisme. Une nouvelle exploration des genres, toujours aussi “Meta”.
Pammy et Lyle Wynant, les protagonistes, un couple qui s’ennuie, entretenant une fausse entente et sur le seuil de la rupture. Alternant boulot et soirée faussement fantasque, leur routine est morne et de plus en plus pesante. L’American Way Of Life dans toute sa splendeur, jusqu’au jour où ils vont croiser la route d’un groupuscule terroriste. Une cellule sur le point de frapper fort. Une nouvelle quête obsessionnelle s’installe, entre réunions secrètes, espionnage, non-dit et nouvelles obsessions sexuels, la dérive du couple est un nouvel élan vers… Vers l’inconnu !
Le roman de l’hermétisme, cela pourrait représenter parfaitement l’approche. Par le truchement de la finance internationale et mettant en parallèle terrorisme, Delillo nous plonge dans le jeu de dupe et l’étanchéité de ces deux milieux. Deux activités où rien ne se dit franchement et où les informations ne doivent pas être vu. Un univers où il est nécessaire d’effacer ses trace et de mener une double vie.
Une vie officielle et une caché beaucoup plus structurée et ordonnée que la première. Comme l’a dit l’auteur à Adam Begley :
« Les gens ont besoin de structure dans leur vie. « Joueurs » est un roman sur ceux qui mènent une double vie. La seconde n’est pas seulement secrète, c’est la plus structurée des deux. »
Cette plongée en eau trouble en devient d’autant plus fascinante, ici le lecteur ne peut s’empêcher de se projeter à la place de Lyle et Wynant, en se demande constamment s’il aurait osé. Mais l’auteur joue également avec ses lecteurs en osant la métafiction.
Ainsi, l’ouverture du roman, n’est rien d’autre qu’un habile résumé de « Joueurs » que vous vous apprêtez à lire. Un jeu avec ses lecteurs ? Non ! Ici l’auteur se débarrasse par ce biais de l’intrigue en donnant les péripéties et les grandes lignes. Ce petit « jeu » permet ainsi à l’auteur de s’épargner des explications intra ou extra-diégétique qui viendrait nuire à l’immersion et au propos de fond.
Petit aparté, il s’agit ici d’un procédé récurrent aussi bien en littérature qu’au cinéma, souvent le générique de début donnant le déroulé du film par symbolique, ou bien encore, comme dans Baby Driver d’Edgar Wright, l’intégralité du film est résumé dans une séquence de 10 petites secondes lorsqu’un personne zappe chaîne après chaîne, nous dévoilant l’intrigue dans la succession de séquence télévisuel.
Ainsi, par ce procédé, l’auteur nous informe que le propos n’est plus ici, la narration est secondaire. Le jeu de dupes prime en questionnant notre appartenance revendiquée et nos profonds instincts en suivant les protagonistes à la dérive.
“Joueurs” est une pépite à lire et à relire, un jugement de nos sociétés contemporaines et de ses dérives, le tout mené avec une grande maitrise. L’auteur continue à s’imposer comme l’auteur que l’on connaît aujourd’hui, un immense auteur contemporain.
Actes Sud,
Babel,
Trad. Marianne Véron,
249 pages,
Ted.