Après l’intimisme halluciné et désespéré de Great Jones Street, l’auteur revient en Juin 1976 avec un roman remplis d’angoisses et de bruit, un bouillonement de spéculations et la rudesse du dialogue. Ainsi naît l’Étoile de Ratner, qui ne sortira qu’en 1996 chez nous avec la magnifique traduction de Marianne Véron.
L’Étoile de Ratner parle d’un surdoué en mathématique, Billy, qui se retrouve embarqué dans un projet sciencitique, et des sciences, immense où se croise le prodigieux et l’absurde. Suite à la découverte d’un mystérieux message venu de l’espace, notre jeune Billy, qui est premier prix Nobel de mathématique, se retrouve avec la lourde charge de décrypter ce dernier, alors même que ce message a mis en échec bon nombre d’éminents scientifiques avant lui.
De ce message et de ce lieu, une sorte de village de la science, va faire basculer, petit à petit notre protagoniste dans un monde qui côtoie l’infini avec le microscopique autant le génie avec l’absurde.
Et c’est là que tout démarre réellement pour l’auteur. Proposant un récit en deux actes diamétralement différents, offrant une sorte de jeu de question/réponse, Don Delillo s’amuse du lecteur en le noyant de rencontres, de situations, de personnages, autant de « set-up » n’étant que des « chausse-trapes » pour finir par nous faire basculer et respirer pleinement que dans la seconde partie.
Empruntant les codes du roman de science-fiction, avec un immense respect pour le genre, l’auteur s’emploi à nous décrire un monde similaire au notre mais avec un léger décalage vers le rouge, comprenez par là, similaire mais toujours s’éloignant légèrement de nous. Qu’il s’agisse du prix Nobel de mathématique ou de l’avion de compagnie Sony 747, la réalité est toujours légèrement fuyante pour nous rappeler sans cesse qu’au-delà de la fiction , la spéculation n’est jamais bien loin.
Ainsi l’auteur n’en n’oublie pas d’apporter son regard critique et désabusé sur notre société. Déjà, en 1976, Don Delillo se permettait d’être ouvertement critique envers le capitalisme, et par opposition à la naïveté juvénile de Billy, le but de la société Acronym, responsable du projet de décryptage, est d’autant plus opposé au valeurs scientifique, et d’éveil au monde, en recentrant ver des dérives de spéculations boursières.
L’Étoile de Ratner, de par son propos, sa construction, son foisonnement rappellera sans cesse deux œuvres majeurs. Ainsi le parallèle avec le pays des merveilles d’Alice, en particulier de l’autre côté du miroir, surtout dans la seconde partie, est un parallèle saisissant, en maniant les mathématiques et l’absurde, et du propre aveu de l’auteur, Billy entreprend le même voyage mystique qu’Alice. Mais il y a un second parallèle, qui est plus à rapprocher au voyage du héros, ou encore au roman d’apprentissage. Billy ressemble, de par sa naïveté, énormément à Pip, le personnage principal des Grandes espérances de Dickens. La première partie semble faire particulièrement écho par son découpage et cette abondance de personnages.
L’étoile de Ratner est le premier roman qui se veut être dense et foisonnant d’une richesse intellectuelle, ludique et espiègle. Ce qui valut l’inévitable comparaison entre Delillo et Pynchon, et fut le point de départ de la théorie que Thomas Pynchon est en fait Don Delillo.
Ce qui pourrait être réducteur, L’étoile de Ratner est avant tout un cap dans la carrière de l’auteur, et une explosion de l’univers de l’écrivain, les codes, les propos, l’ingéniosité, l’amusement, le regard sur notre monde et notre époque, tout est décuplé, et ici tout nous éblouit page après page.
Don Delillo a écrit son œuvre de science-fiction avec L’étoile de Ratner, et à partir de là, tout devenait possible pour lui, explorer devenait sans limite.
Actes Sud,
Trad. Marianne Véron,
608 pages,
Ted.