Tout a été dis et pourtant tout reste à dire sur l’un des meilleurs auteurs, si ce n’est le meilleur auteur américain vivant. Dès son premier roman, il a jeté les bases d’un univers romanesque empruntant autant à la philosophie, la politique ou le cinéma. D’une constance et d’une régularité remarquable, cet écrivain n’a cessé de parfaire son style et gagner en profondeur tout au long de sa carrière.
Il fait très certainement partie de ce genre d’auteurs que l’on connaît, que l’on respect et qui dégage une aura particulière, mais que l’on n’ose pas lire. Taxé d’écrivain opaque ou difficilement abordable, privilégiant les réflexions et digressions à l’action, ou encore des dialogues par moment quasi surréaliste. Et pourtant, Don Delillo est un auteur à lire, un auteur important dans la littérature contemporaine.
Zero K, c’est le Zero Kelvin, le zéro absolu ; c’est également le titre de son dernier roman. Nous suivons Jeffrey, un américain qui a rejoint son père et sa belle mère dans un complexe au milieu de nulle part. Au milieu d’un désert, d’un pays aux confins de l’Oural. Sa Belle mère, malade va être cryogénisé. En attendant un avenir meilleur, plus grand, où l’homme du futur pourra la ressusciter et la soigner, elle choisit de mettre sa vie en suspend. Mais cette histoire va être aussi la déconstruction minutieuse du grand et puissant Ross Lockhart, le père, comment cet homme face à la mortalité de son aimé, va redevenir un simple humain face à la mort, face à sa mort. Changement qui va pousser Jeffrey, le fils, dans de profondes réflexions et le pousser à grandir, à se réaliser.
Zero K c’est également une analyse de notre monde contemporain. Ce complexe prônant l’immortalité, défiant les lois élémentaires de la vie, n’est rien d’autre que l’allégorie de la caverne de Platon. Renvoyant aux peurs primaires de l’homme pour le conforter dans sa fuite vers un avenir meilleur, défiant la mort par la cryogénie, fermant les yeux sur un monde actuel qui ne correspondrait pas à une certaine caste d’hommes et de femmes.
L’écriture de Don Delillo, d’une précision redoutable et d’une grande puissance d’évocation est avant tout la marque d’un grand conteur. Depuis Americana (son premier roman), il a été l’auteur utilisant le plus la fiction pour analyser, critiquer et s’amuser du monde dans lequel il évolue. Taxé d’auteur prophétique, cela reste avant tout un écrivain qui a su se jouer des codes, mœurs et tendances du moment pour ancrer ses histoires. Zero K fait également écho avec l’actualité, la cryogénie devenant une réalité (voir sur les internet, avec la première cryogénie d’une femme en Chine).
Mais finalement, ce que l’on retiendra de son dernier roman et que l’on aura que pu constater depuis Americana, c’est que Don Delillo est un grand écrivain. Zero K ne dérogeant pas du tout à la règle. Installant tranquillement un univers, abordant un thème qui pourrait être anxiogène, son écriture très cinématographique par moment, évoquant nombreuses images fortes, sa finesse d’analyse et sa richesse dans les dialogues en fond un grand roman, encore un ! Et il ne serait pas déraisonnable pour tout néophyte voulant s’essayer à l’univers de l’auteur de commencé par celui-ci.
Actes Sud,
Lettres anglo-américaine
304 pages
Trad. Françis Kerline
Ted.