Edward Gorey (1925-2000) aimait porter de longs manteaux de fourrure et des sneakers, s’isoler dans sa maison Elephant House en compagnie de ses sept chats et inventer des histoires d’une beauté toute morbide. Les Éditions du Tripode rendent hommage à ce maitre de la plume et du mot, dans Une anthologie, regroupant deux abécédaires et trois fables tragiques. Ce petit livre carré et épais est un microcosme à part entière: une fois ouvert on sent l’odeur de la pluie qui semble tomber sans cesse et la lourdeur des tentures et des brocards cachant les pires traquenards. Car dans les dessins minutieux d’Edward Gorey, où les hachures côtoient les superpositions d’arabesques, chaque détails comptent et le tout forme un univers implacable, cruel mais surtout infiniment poétique.
On y retrouve donc deux abécédaires, Total Zoo et Les enfants fichus. L’un dénombre les différents animaux d’un zoo fantasmagorique et l’autre les destinés dramatiques d’enfants, passant l’arme à gauche de toutes les manières possibles. L’enfant guigne raconte la courte vie d’une petite tête blonde résiliante et poissarde jusqu’au bout, tandis que L’aile Ouest est un récit sans mot, où les images défilent comme autant de judas sur des pièces sinistres, des recoins étouffants et des couloirs hantés. Quand au Couple détestable, Edward Gorey s’est approprié un fait divers terrible survenu entre 1963 et 1965 et imagine comment deux assassins psychopathes ont pu grandir, se trouver, s’aimer et échafauder les pires tortures ensemble pour le meilleur et pour le pire.
Il faut bien sûr être friand d’humour noir et d’incongruité pour apprécier à leur juste valeur ces contes où l’obscurité et la blancheur immaculée cohabitent (l’un prenant immuablement plus le pas sur l’autre). On retrouve des touches du mouvement surréaliste dans le travail des images et des plans, et il faut d’ailleurs noter à quel point Edward Gorey était avant-gardiste pour son époque, préférant un style gotique et même victorien aux courants et tendances picturales et esthétiques d’alors. Son dessin à la plume d’une incroyable précision est en osmose parfaite avec ses textes en vers ou en proses à l’humour absurde et la jolie morbidité.
Une anthologie est un recueil où cet artiste, figure énigmatique et charismatique joue avec l’innocence des fables tragiques et banalise une horreur extrapolée avec ironie et décalage.
Éditions Le Tripode
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Ludovic Flamant, Jacques Roubaud et Oskar
176 pages
Edward Gorey est l’un des maitres ayant inspiré le réalisateur et artiste Tim Burton. Connu pour ses films et ses longs métrages d’animation tels que L’étrange Noël de Monsieur Jack, Beetlejuice ou encore Sleepy Hollow, il est également l’auteur d’un recueil de poèmes un peu particuliers.
En effet La triste fin du petit enfant huitre et autres histoires s’inspire de l’abécédaire fataliste Les enfants fichus.
Dans l’édition bilingue on peut profiter du texte dans sa version originale ainsi que de sa traduction en français, véritable tour de force pour parvenir à restituer l’ambiance glauque et même cynique de ces courtes histoires.
On y fait la rencontre d’une étrange famille, éclectique et décousue, où les enfants sont toxiques, momifiés, lactés ou encore salins.
Chacun à droit à son portrait en couleur et une courte anecdote, bien souvent violente et irrémédiable. Tim Burton reprend les codes de l’enfance et de l’innocence et les détourne avec un génie macabre et une pointe de fausse naïveté, particularité que l’on retrouve dans sa filmographie. Les enfants qu’ils dessinent et racontent ont leurs particularités, souvent totalement farfelues, mais ils en prennent conscience en se heurtant aux regards des autres. C’est alors que ces caractéristiques deviennent handicapantes et étranges.
Après tout, le petit enfant huitre est une honte pour ses parents juste parce qu’ils sont humains et bornés. Tout n’est qu’une question de point de vue.
Éditions 10/18
Collection domaine étranger
Traduit de l’anglais (États-Unis) par René Belletto
123 pages